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retranchemens de Pisek, où il avait passé l’hiver, et d’ailleurs pourquoi ne pas appeler à son aide les troupes saxonnes qui n’avaient pas encore donné ? C’était à leur tour d’agir. » Tout ce que Belle-Isle put obtenir à force d’instances, ce fut qu’un détachement prussien s’avancerait sur la Sasawa au point où cette petite rivière se jetait dans la Moldau, afin d’être en mesure de se porter sur Prague, si la ville était sérieusement attaquée. Il fut convenu qu’en vue de cette éventualité, on jetterait un pont d’avance à l’endroit de ce confluent.

Pour adoucir ce qu’il y avait de sec dans le refus et de désobligeant dans ce maigre secours si péniblement accordé, Frédéric se jeta alors dans des considérations générales qui, ne l’engageant à rien, ne le gênaient pas. Il s’emporta contre l’orgueil et la hauteur insupportables de la maison d’Autriche. « Il n’y a rien, dit-il, de si vindicatif que le grand-duc et surtout que la reine de Hongrie, et si elle n’est pas humiliée, elle remuera toute l’Europe, même après une paix qu’elle aurait signée pour recouvrer ce qu’elle aurait perdu. Personne n’est plus intéressé que moi, ajoutait-il, à ce qu’elle ne reste pas trop, puissante, car, après ce qui s’est passé, il y aura à jamais une haine implacable entre sa maison et la mienne. Après tout, j’ai peut-être entrepris cette guerre trop légèrement, et j’ai eu des momens de cruelle inquiétude. Je n’oublierai jamais la manière dont vous vous êtes comporté à mon égard. Maintenant je ne désire qu’une bonne et solide paix. »

Ce désir de paix que Frédéric exprimait ainsi pour la première fois avec vivacité piqua sans doute la curiosité de Belle-Isle, qui lui demanda comment et à quelles conditions il comprenait que la paix générale pouvait être conclue. Frédéric lui répondit alors par cette expression répétée depuis lors dans une occasion récente et devenue fameuse, Beati possidentes ; et il lui commenta cet axiome en expliquant que la Bohême pourrait rester à l’empereur parce qu’il la possédait, mais que la Saxe (probablement que la Moravie n’était pas encore conquise) devrait se contenter de quelque partie de la Haute-Silésie. « Je ne crois pas, ajouta-t-il, qu’on puisse obtenir davantage de la reine cette année. » — « Puis, continue Belle-Isle dans son compte-rendu qu’il faut ici citer textuellement, il me dit qu’il allait me parler avec franchise, ouverture et confiance, exigeant de moi que le secret fût inviolablement gardé ; sur quoi il me demanda si réellement et de fait nous ne prétendions point obtenir quelque chose pour nous dédommager des frais immenses de cette guerre. Je lui tins sur cela le même discours que je vous ai dit que j’avais tenu et écrit l’année dernière sur pareille question et que je ne répète point. Il me dit que cela était bien généreux au roi, qu’à la