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vérité c’était tout pour la France d’avoir abaissé la maison d’Autriche et fait monter sur le trône un prince qui était le plus honnête homme de l’Allemagne et sur l’amitié duquel le roi et ses alliés pouvaient solidement compter… Mais il m’ajouta qu’il fallait pourtant que nous eussions Luxembourg. Sur quoi je repris une négative absolue, disant qu’il nous suffirait de la faire raser et régler ensuite les limites de convenance de cette frontière. Le roi de Prusse trouva que c’était bien peu, que rien n’était si juste en même temps que si louable, et qu’à cet égard la paix serait facile à faire[1]. »

Quel pouvait être le dessein de Frédéric en traçant ainsi, avec complaisance, les lignes idéales d’un partage de nature à contenter tous ses alliés, tandis qu’il avait en poche, proposé et presque déjà signé par lui, un traité qui les sacrifiait tous sans pitié ? Que se proposait-il en suggérant des perspectives de conquêtes au général de cette même armée française qu’il avait déjà résolu de vouer la lendemain à une défaite certaine en l’abandonnant isolée et perdue au fond de l’Allemagne ? Pourquoi choisissait-il, parmi les tentations à lui offrir, l’annexion de cette province même de Luxembourg, qu’il devait plus tard, dans des documens publics, reprocher à Fleury d’avoir voulu obtenir par voie clandestine de Marie-Thérèse ? On a beau chercher, à moins de lui supposer un luxe et un raffinement de duplicité, une seule explication est possible. Il faut croire qu’il travaillait par ce détour à arracher à Belle-Isle l’aveu d’une ambition secrète qui aurait justifié sa propre déloyauté et qu’il se serait fait, auprès de ses futurs alliés (l’Angleterre et la Hollande, par exemple) le mérite d’avoir découverte et déjouée. Ce rôle d’agent provocateur est le seul qu’on puisse raisonnablement lui prêter.

Si tel fut son calcul, il fut trompé par la réserve de Belle-Isle, et on trouve la trace de cette déception dans une note qu’il rédigea lui-même après la conversation pour la transmettre à Podewils, afin de guider ce ministre dans ses derniers pourparlers avec Hyudfort. Les principaux points traités par Belle-Isle y sont résumés sous forme de demandes et de réponses, et le dernier est celui-ci : « Quant à la France, autant que j’ai pu le remarquer, elle n’a demandé que Montbéliard, quelques villages du Germersheim et la démolition de Luxembourg. A savoir s’ils ne gardent rien in petto, c’est ce qui est bien difficile à deviner. » Et il ajoute : « Tout ceci est fort curieux ; vous connaissez assez ma façon de penser pour savoir ce que je conclus. » L’histoire trouvera aussi cet écrit

  1. Belle-Isle à Amelot, 4 juin 1742. (Correspondance de Prusse et de l’ambassade à la diète. — Ministère des affaires étrangères.)