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que je sois averti de ce qui se passera dans Prague et de tous les événemens de la guerre, car si vos affaires prospèrent, comme je m’en flatte, et que vous battiez les Autrichiens, je serai en état de parler, et, leur représentant leur faiblesse et, la nécessité où ils seront de satisfaire en partie les alliés, je redeviendrai par là en quelque sorte médiateur, malgré les Anglais et la reine de Hongrie, et vous pensez bien que, pour lors, mon intérêt sera de rendre la partie de l’empereur bonne. » Là-dessus il le quitta en le serrant dans ses bras et en lui disant : « Ah ! caro, venez donc à Berlin, je vous en prie. » Valori avait vu juste : à peine engagé dans une nouvelle alliance, Frédéric songeait déjà à se ménager des intelligences dans le camp qu’il venait de quitter. La distribution des cartes entre les joueurs était changée, mais le double jeu continuait, et Frédéric offrait à Valori, dans sa confiance intéressée et intermittente, la place qui ne pouvait plus appartenir à Hyndfort[1].

Si Valori avait attribué un autre caractère à ces caresses, s’il eût cru y voir, par exemple, l’indice d’un reste d’intérêt que le roi aurait porté à la sécurité de ses anciens alliés, il eût été cruellement déçu quand la ratification, arrivée de Vienne dans les derniers jours de juin, rendit publiques les conditions de la paix : car il aurait été impossible d’y trouver l’ombre même d’un souvenir pour l’alliance qui finissait. L’Autriche cédait à la Prusse toute la Silésie haute et basse, moins les duchés de Teschen, la ville de Troppau et quelques pouces de territoire de peu d’importance. En revanche, le roi de Prusse ne contractait d’autre engagement que de rembourser à l’Angleterre un prêt fait autrefois à l’Autriche et hypothéqué sur les revenus de Silésie. De la France le nom n’était même pas prononcé, nulle précaution pour assurer la liberté de la retraite de son armée ; ni pour lui ménager la faculté d’entrer en négociation et de prendre part à la paix. Même silence sur l’empereur, pas même une bagatelle en sa faveur. A la vérité, on y parlait bien de la Saxe, mais c’était pour, engager le roi Auguste à entrer lui-même dans le nouveau traité, en commun avec l’Angleterre, la Russie, la Hollande et le Danemark, sous la condition expresse d’avoir à retirer, au plus tard dans la quinzaine, toutes les troupes qu’il entretenait encore en Bohême. En un mot, on lui offrait la vie sauve, à la condition de s’engager du soir au lendemain dans une coalition nouvelle dirigée contre la France. Avec le caractère connu d’Auguste, l’acceptation n’était pas douteuse.

C’était le comble et le dernier coup ; quand Belle-Isle le comprit, il fut atterré. De l’immense effort soulevé par sa diplomatie, rien

  1. Valori à Amelot et à Belle-Isle, 20, 21 et 23 juin 1742.