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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

Telle est croyons-nous, l’idée générale que nous devons nous faire de la pastorale de Théocrite. Si, avant de la définir avec plus de précision, nous voulons d’abord indiquer quelle région dans le monde de l’art, toujours plus ou moins fictif, occupe cette poésie qui demande à la nature et à la vie des champs de nouvelles sources d’inspiration, le mieux est peut-être de reprendre le mot de Sainte-Beuve : « Théocrite, dit-il, était, par rapport aux choses qu’il représentait, dans une condition de demi-vérité. » Ce mot était déjà dans Fontenelle, qui, dans son Discours sur la nature de l’églogue, soutient que l’imagination se contente souvent d’un demi-vrai. Seulement celui-ci, tout en critiquant avec esprit les affectations de la plupart des pastorales modernes, restreint le demi-vrai à une si faible mesure que, dans l’intérêt de la galanterie, il exclurait volontiers de l’églogue les brebis et les chèvres. Son disciple Lamotte ne fera que suivre la même voie en réduisant les bergers eux-mêmes à n’être plus, suivant son expression, qu’une idée, à laquelle il accordera tout au plus quelque lointaine ressemblance avec la nature. Sainte-Beuve entend la demi-vérité dans un sens très différent. Ce qui fait, à ses yeux, la supériorité de Théocrite, c’est que, pendant qu’il se joue librement avec la légèreté de l’art grec, il s’appuie sur le fond solide de la réalité. Il faut aller un peu plus loin ; il faut marquer davantage et nettement distinguer, pour bien déterminer le caractère de cette poésie, d’un côté le goût de la réalité avec sa saveur ou même avec sa crudité ; de l’autre, un goût de recherche élégante et ingénieuse, admettant une part de convention ou d’idéal, dont la proportion varie selon le sujet.

Les poèmes de Théocrite, si l’on néglige quelques pièces érotiques et les épigrammes, qui n’offrent rien de particulier à notre attention, sont de trois espèces : il a fait des pièces épiques, ce que les Grecs appelaient des mimes, et des chants bucoliques. Les pièces épiques justifient ce nom par le sujet plus que par la manière dont elles sont traitées. À la fin de l’une d’elles, les Dioscures, le poète indique lui-même à mots couverts quelle est la mesure de ses prétentions. De même qu’Homère, par ses chants, a donné la gloire à Hélène et aux destructeurs de Troie, de même, lui aussi, il apporte, dit-il, comme offrandes aux deux héros, « les douceurs des muses harmonieuses, ce qu’elles veulent bien donner elles-mêmes et ce que peut fournir sa maison. » Les ressources de sa maison, il le sait, sont bornées ; et l’épopée ou même l’hymne épique se réduisent chez lui aux proportions des narrations familières, des récits de veillée, où la grandeur et la passion sont remplacées par le goût de l’extraordinaire et la recherche curieuse du détail. C’est dans les

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