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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

spiration et par la science, s’énervent et se décomposent, le dithyrambe athénien, qui représente dans le lyrisme le dernier effort d’invention, devient imitatif, c’est-à-dire qu’il cherche ses effets, moins dans la force propre de la poésie que dans l’emploi de procédés musicaux et orchestiques qui parlent aux sens. C’était aux yeux et aux oreilles que s’adressaient surtout Philoxène et Timothée, quand ils représentaient, nous ne saurions deviner pour le second par quels artifices hardis, la danse du cyclope Polyphême et l’enfantement de Bacchus. « Quels cris elle pousserait, disait un des auditeurs, si elle accouchait d’un manœuvre au lieu d’enfanter un dieu ! » C’est dans la tragédie qu’on pourrait le mieux apprécier cette tendance à la description et voir comment elle se lie à la décadence de l’art. Grâce à Euripide, cette étude serait aussi facile qu’intéressante. Même dans les plus belles de ces nombreuses narrations où le talent de frapper l’imagination et de toucher atteint parfois ses dernières limites, peut-être une critique rigoureuse relèverait-elle l’abus des effets plastiques. Mais il faudrait surtout signaler certains efforts pour renouveler l’intérêt des vieilles légendes héroïques par la copie étudiée des détails de la vie vulgaire. Rien de plus curieux à ce point de vue, dans son Électre, que les peintures détaillées du pauvre ménage de la fille d’Agamemnon, devenue l’épouse nominale du vertueux paysan qui lui a été imposé par la politique d’Égisthe et de Clytemnestre. Et notez que c’est la vie rustique dans un site champêtre qui est mise sous les yeux du spectateur, et qu’ainsi une véritable idylle, au sens moderne, se mêlait aux horreurs du parricide[1].

Tel était le mouvement général qui avait entraîné la poésie vers la description et lui avait fait chercher de nouvelles sources d’intérêt dans la représentation de la réalité matérielle. Théocrite y entra naturellement. Ses dispositions propres, dont ses vers sont l’évident témoignage, son amour pour la campagne, le portaient à reproduire de préférence la nature agreste et la vie champêtre. C’est ce qu’on voit bien dans ses pièces épiques, qui appartiennent probablement au commencement de sa carrière. La plus étendue, et peut-être la première de toutes, Hercule tueur du lion, est en grande partie comme un épanouissement de poésie pastorale.

« Le soleil tourna ses chevaux vers le couchant, amenant le soir : les gras troupeaux de moutons revinrent du pâturage vers les parcs et les bergeries. Puis s’avancèrent les vaches par milliers, se succédant comme les nuées chargées d’eau qui se pressent dans le

  1. M. Egger, se plaçant à un autre point de vue dans son morceau intitulé de la Poésie pastorale avant les poètes bucoliques, relève, particulièrement chez Euripide et chez les comiques, de nombreux passages d’un caractère pastoral ou champêtre.