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ciel, chassées en avant par la force du Notus et du Thrace Borée : elles vont à travers les airs et l’on ne peut les compter, elles sont sans fin, tant le vent les roule en quantité les unes après les autres dans leur inépuisable succession. Ainsi se succédaient en masses infinies les vaches allant aux étables. Toute la plaine, toutes les routes se remplirent de la marche des troupeaux, et leurs mugissemens ébranlaient les grasses campagnes… »

C’est la rentrée des merveilleux troupeaux d’Augias. Dans tout ce tableau et d’autres qui l’entourent respire une abondance facile et calme que l’harmonie du grec fait bien mieux sentir qu’aucune traduction. Cet idéal de richesse et de félicité champêtres, n’est-ce pas une des idées élémentaires de la pastorale ? La forme bucolique n’y est nullement ; l’ampleur du développement et le dialecte rattachent plus particulièrement ce petit poème à l’épopée, et il est plus imité d’Homère qu’aucun autre.

D’autres pièces, écrites en dorien, par cela seul se rapprochent davantage des allures de l’idylle. La poésie champêtre s’y introduit aussitôt que le sujet s’y prête. Ainsi, dans l’hymne en l’honneur des Dioscures, voyez avec quelle complaisance Théocrite s’arrête à peindre le lieu où Castor et Pollux rencontrent le monstrueux Amycus, la source limpide au pied d’un rocher poli, et les cailloux qui brillent au fond comme du cristal ou de l’argent à travers la transparence de l’eau, et les grands arbres qui ombragent ses bords fleuris. C’est la jolie composition intitulée Hylas, qui, par le ton, le rythme, l’expressive brièveté du style, la grâce des détails et même la nature du sentiment chanté par le poète, l’amour d’Hercule pour le bel Hylas à la chevelure bouclée, présente le plus d’analogie avec l’idylle bucolique. Du reste, ici comme dans tout Théocrite, les nuances sont délicates à saisir. Toutes ces pièces épiques, par le style et les procédés d’exposition, ont un air de famille ; toutes aussi, sauf peut-être le poème d’Hercule enfant, vrai chant de veillée comme ceux qu’y annonce Tirésias, ont un défaut plus ou moins manqué, qui s’exagérera bientôt dans la grande composition d’Apollonius de Rhodes : c’est que le caractère en est indécis ; ce sont des formes bâtardes de l’épopée, voisines, tantôt des chants héroïques, tantôt des hymnes homériques, tantôt de ce qui va devenir l’idylle bucolique. Si Théocrite est devenu un poète supérieur, c’est qu’il s’en est dégagé ; c’est qu’il en a séparé cet élément champêtre, qu’il y introduisait volontiers, pour le traiter à part en le revêtant de formes particulières. Comme il arrive dans les créations littéraires de quelque importance, ce travail original eut pour point de départ et pour première matière de grossières ébauches et d’anciennes traditions conservées dans les mœurs. De même, ses mimes, son second titre de gloire, n’ont cette net-