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qui terminent la xe idylle et que nous avons cités plus haut. Chacun des chanteurs récite tout à tour et de suite quatre couplets de vers dactyliques. Tous deux s’y renferment dans la réalité de leur vie pastorale ; mais le second, Daphnis, le futur héros des bergers siciliens, s’y présente dans la fleur pudique de sa beauté adolescente, inspirant l’amour et relevant la simplicité des mœurs champêtres par une nuance plus délicate de sensibilité. C’est la première partie qui nous donne un développement intéressant du chant amœbée. Ici les couplets s’entre-croisent, et chacun se compose de deux distiques élégiaques. Ils offrent donc une forme déjà plus ample et un rythme qui a quelque chose de lyrique. C’est que l’idée elle-même a un caractère nouveau. Ce n’est plus, comme dans la ve idylle, un trait capricieusement lancé dans une succession incohérente : c’est, dans chaque strophe, comme une phrase d’un même thème musical ; un seul sujet remplit tout le chant, lui donne le ton et la couleur. De plus, ce sujet est idéal ; les amours que chantent les deux enfans ne conviennent point à leur âge, et d’ailleurs le style ne laisse aucun doute sur la pensée de Théocrite. Sa poésie, pleine de sève et brillante d’une saine limpidité, reste bien loin de la galanterie moderne ; mais c’est une fiction, qu’il place dans un cadre d’une grâce toute vivante.

Chez lui la fiction ira plus loin, et à mesure qu’elle se développera plus librement, par un mouvement naturel elle élargira et brisera plus qu’à demi les formes étroites et pauvres du bucoliasme à deux parties. Ainsi la vie idylle est une sorte de drame improvisé. Daphnis, qui pose le thème, dépeint les agaceries de la nymphe Galatée se jouant de l’amour de Polyphême ; et déjà sa peinture prend un caractère dramatique, car elle s’adresse au cyclope, que le peintre interpelle indirectement et encourage en entrant lui-même dans ses sentimens. Le rival de Daphnis, Damœtas, dépasse cette hardiesse : il revêt aussitôt le personnage de Polyphême, et c’est l’amant de Galatée que l’on entend exprimer naïvement sa passion. Voilà donc, peu s’en faut, une scène à deux rôles, où l’on trouve successivement l’expression plastique et l’analyse morale. Pour obtenir cette valeur d’effet et cette richesse relative de développement, Théocrite se dégage du moule bucolique. Déjà, dans le fragment dont l’éditeur ancien a formé le corps de l’idylle ixe, nous trouvons deux couplets assez étendus, dans lesquels les bergers rivaux opposent l’un à l’autre deux tableaux, celui des jouissances de l’été et celui des jouissances de l’hiver dans la vie pastorale. Mais les correspondances y sont sensibles, sinon aussi marquées que dans le dialogue bucolique. Chacun remplit exactement sept vers, dont les derniers sont analogues par les idées et par le tour. Ici, au contraire, les répétitions