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vaut l’empire de la mer pour la protection du commerce, la sécurité des côtes de la nation qui tient en ses mains ce sceptre vermoulu plus qu’à demi brisé ; elles ont mis enfin en pleine lumière les causes morales, ou tout au moins économiques, qui, mieux que les coups directs des croiseurs ennemis, frappent au cœur, ruinent pour longtemps (si ce n’est pour toujours) ce commerce lui-même.

« Les croisières des corsaires confédérés n’avaient pas eu seulement un résultat matériel : la prise et la destruction d’un grand nombre de navires américains. Jusqu’au mois de mai 1864, 239 navires jaugeant ensemble 104,000 tonneaux, d’une valeur de plus de 15,000,000 de dollars (80,250,000 francs) avaient été détruits. L’effet moral avait été plus considérable encore, La plupart des navires de commerce fédéraux étaient transférés à des propriétaires anglais. Dans la seule année de 1863, on enregistra le transfert de 348 navires jaugeant ensemble 252,000 tonneaux. Les taux des assurances s’élevaient à des chiffres ruineux pour le commerce du Nord. La guerre se prolongeait enfin, non-seulement par les ressources que procuraient les coureurs de blocus, mais encore par la confiance que rendaient aux défenseurs du droit des états les exploits sans cesse renouvelés des Semmes, des Wadell et de leurs émules[1]. »

S’il en est ainsi, un jour nouveau ne se fait-il pas sur l’avenir des guerres maritimes et n’apparaissent-elles point comme devant avoir pour instrument le plus effectif des croiseurs à marche supérieure, auxquels leur vitesse et l’audace des capitaines donneront le prestige de l’ubiquité en leur permettant de déjouer toute poursuite ?

Affirmer qu’il en sera ainsi serait peut-être se hâter, en France surtout, où l’ignorance des choses de la mer n’est que trop générale, et, puisque la véritable méthode scientifique exige que toute hypothèse soit vérifiée et sanctionnée par l’expérience, cherchons s’il n’est pas d’autres faits plus récens qui mettraient hors de doute la vérité que nous venons d’entrevoir.

La guerre de la sécession est finie. Les états rebelles sont vaincus. Ils expient leur faute ou leur crime. Mais n’ont-ils pas eu des complices et ces complices resteront-ils impunis ? Plus d’un gouvernement en Europe a aidé non-seulement de ses vœux et de sa sympathie plus ou moins avoués, mais par des actes, la longue résistance des états du Sud. Le plus compromis d’entre eux est certainement le gouvernement anglais. C’est dans les ports anglais que les confédérés ont puisé les élémens de leur marine, et, de plus, c’est l’Angleterre qui s’est portée l’héritière du commerce agonisant des états du Nord. N’a-t-elle pas à rendre un compte sévère de tous ses agissemens, des facilités que les croiseurs du Sud ont trouvées dans

  1. Les Croiseurs, la Guerre de course, par M. Dislère, ingénieur de la marine.