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lente, des bagages, nous faisons à trois ou quatre une assez courte promenade dans les environs de l’hôtel. L’hôtel de Mount-Vernon, qui est de dimensions assez modestes pour un hôtel américain, est situé dans le quartier aristocratique. Nous apercevons au clair de lune quelques maisons assez élégantes et coquettes. Mais les rues sont mal éclairées et désertes ; point de voitures, point de passans. On sent qu’on est dans une ville de second ordre, bien loin de l’animation de Madison-Square et des splendeurs de Fifth-Avenue. Le lendemain matin, nous nous mettons, les mêmes, en campagne d’assez bonne heure et nous nous promenons un peu au hasard dans la ville, cherchant au contraire à diriger nos pas du côté du quartier commerçant. Je suis très amateur de ces flâneries au hasard dans les grands centres de population ; on y apprend beaucoup de choses par les yeux, et parfois l’imagination y trouve aussi son plaisir. Mais ce qui fait surtout le charme de ces promenades dans nos vieilles villes européennes, c’est la diversité de leurs aspects et la variété des souvenirs qui sortent en quelque façon de terre sous vos pas. On tourne le coin d’un grand magasin de nouveautés, où se presse une foule affairée, et on tombe dans une majestueuse rue Royale ou dans une sombre rue du Cloître. De grands vieux hôtels, à la mine triste et hautaine, vous rappellent le temps où des familles seigneuriales régnaient en souveraines dans cette ville aujourd’hui livrée à un conseil municipal de bas étage et, par une association d’idées involontaire, font penser à des vertus dont ces familles n’ont malheureusement pas toujours donné l’exemple. De cette maison basse, à la façade noircie par des pluies séculaires, qui donne sur un jardinet, vous pouvez de loin vous attendre à voir sortir, son bréviaire sous le bras, quelque vieux chanoine se rendant à la cathédrale pour chanter vêpres ou complies ; et c’est seulement en vous approchant que vous lisez sur une plaque de cuivre le nom de quelque agence de banque ou d’assurance. Ces vieux ormes, dont les feuilles sèches tourbillonnent sur la place de l’Évêché, ont vu bien des prélats entrer en carrosse dans la cour de leur hôtel, et cette église, plus vieille encore, a reçu, voici tantôt cinq ou six siècles, le corps d’un très haut seigneur et de sa noble épouse donec veniat immutatio, jusqu’au jour du changement. Ainsi, tout écrasé qu’il est sous le poids du présent, le passé proteste encore de son existence, et il se venge de sa ruine en s’imposant à votre imagination et à vos souvenirs. Dans les villes américaines, rien de semblable ; si la curiosité est toujours en éveil, si les yeux sont toujours amusés et instruits, l’imagination sommeille et rien ne vient troubler son repos. C’est qu’elles sont presque toutes bâties sur un plan uniforme, tirées à angle droit avec des rues numérotées (tel n’est pas cependant le cas de Baltimore), ce