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dans une maison de banque) et ce chèque est accepté en paiement par le receveur. Ajoutez à cela un système fort complet de téléphones et de communications électriques. En un mot, là comme partout, en Amérique, l’organisation tend à économiser le temps qui est de l’argent et à utiliser le travail des hommes qui coûte cher. En est-il ainsi chez nous ?

Nous rentrons à l’hôtel, ou nous n’avons que le temps de prendre un déjeuner rapide, car on nous attend pour un concert donné en notre honneur pair un orchestre venu tout exprès de New-York Nous arrivons même en retard et nous sommes obligés de gagner à pied, au milieu de la foule, l’estrade qui nous est réservée. Aussi notre arrivée fait-elle peu d’effet et n’est-elle saluée que d’assez maigres applaudissemens. Nous commençons à devenir difficiles. Un certain espace a été réservé entre l’estrade où nous nous trouvons et celle où est installé l’orchestre, espace défendu par des cordes. Mais l’envie de nous voir, de plus près et aussi la poussée des derniers rangs sur les premiers fait qu’à, un moment les cordes sont rompues et l’espace vide est envahi en un clin d’œil par une foule qui arrive jusqu’au pied de notre tribune. Je suis toujours curieux des foules, de leur aspect, de leurs impressions, et je regarde celle-ci en la comparant dans ma pensée à une foule française. Il me semble que les figures sont moins fines, moins animées, je ne dirai pas moins intelligentes ; les femmes surtout sont plus communes et moins bien attifées. Ces arrangement coquets de chapeaux, de rubans, de cheveux, où excelle l’ouvrière parisienne, semblent leur être inconnus. Mais, prise dans son ensemble, cette population a quelque chose d’honnête, de sérieux et de décent ; elle m’a paru de plus assez docile et bonne enfant, et j’ai admiré la patience avec laquelle, jusqu’au moment où la pression des derniers rangs est devenue trop forte, elle s’est laissé contenir par quelques agens. Ce n’est pas la dernière fois que j’aurai occasion de remarquer la déférence témoignée par la foule américaine à tout symbole d’autorité. Le bâton du policeman a sur elle un empire immense jusqu’au moment où, tout à coup, animée de quelque sentiment violent, elle ne connaît plus ni frein, ni autorité, ni respect de la loi et de l’humanité. On a peine à croire, en effet, que ce soit cette même foule qui se rende parfois coupable de ces actes d’exécution sommaire par lesquels elle se substitue à l’action de la justice. Tout le monde a entendu parler de ce qu’on appelle la loi du juge Lynch, et beaucoup de mes lecteurs croient probablement, comme je le croyais moi-même, que cette main-mise de la populace sur un coupable avéré et sa pendaison sommaire (lors même qu’il n’aurait pas encouru par son crime la peine de mort) n’ont lieu que dans ces territoires nouveaux où la justice est encore impuissante à protéger