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ministre par voiture, M. de Rochambeau, qui est le chef de file de notre petite bande, dans la première voiture, avec les chefs de la mission officielle. Pour nous, rendre au Capitole, nous remontons la longue avenue de Pensylvanie, Un cordon de troupes fait la haie sur notre passage ; je remarque la diversité des uniformes, dont quelques-uns rappellent beaucoup certains uniformes français. Ce n’est pas sans étonnement que je lis, le soir, dans le journal le nom des différens détachemens que nous avons ainsi passés en revue : zouaves de Washington, chevaliers de Pythias, chevaliers de Saint-Pierre. (Qu’est-ce peuvent bien être aux États-Unis des chevaliers de Saint-Pierre ?) Je remarque aussi un détachement exclusivement composé de nègres, et quelques policemen, nègres également. Cinq pompes à feu fouinent la marche. Il n’y a pas lieu cependant à jeter de l’eau froide sur l’enthousiasme de la population, qui nous regarde passer avec une curiosité indifférente. Nous ne sommes pas ses invités, et ce n’est pas son affaire de nous faire fête. Enfin nous arrivons au Capitole. Nous gravissons un très majestueux escalier qui mène à l’entrée de la rotonde, et nous pénétrons sous la. coupole dont le diamètre est, je crois, légèrement supérieur à celui de Saint-Pierre de Rome. Toute une moitié de cette rotonde a déjà été envahie par une foule dont la rue a fourni la plus grande partie et qui applaudit à notre entrée ; l’autre moitié nous a été réservée, et nous nous y rangeons. Au bout de quelques minutes, le président apparaît et s’avance vers nous. Il est en redingote ; nous sommes en habit et cravate blanche, mais nous apprenons le lendemain que l’habit le jour est (fort raisonnablement) chose tout à fait inconnue aux États-Unis. M. Outrey qui, parle anglais avec beaucoup de facilité, se détache alors et prononce quelques paroles bien tournées, auxquelles le président répond avec bonne grâce. Le président est un homme d’une haute stature, à l’air grave, et qui figure dans les cérémonies officielles avec beaucoup de dignité. Il passe ensuite devant notre front en serrant la main à chacun de nous ; mais comme il ne parle pas français et que l’immense majorité d’entre nous ne parle pas anglais, l’échange de relations se borne à la poignée de main classique sur la terre américaine. Cette réception toute républicaine terminée, nous passons dans la salle du sénat, où nous allons, au contraire, assister à une scène parlementaire à l’anglaise.

J’ai dit que deux jours auparavant nous avions été présentés, au président du sénat, M. Bayard, candidat heureux des démocrates. Mais dès lors la scène a changé. M. Bayard avait été nommé président pro tempore à une voix de majorité, et il avait dû cette majorité à la non-admission au vote de trois sénateurs dont l’élection n’avait pas encore été validée. Ces trois sénateurs ayant été depuis