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A PROPOS DE LA RELIGIEUSE
DE SCHUBERT ET DE DIDEROT

On a dit que le véritable artiste ressemblait à ce père de famille de l’évangile qui prépare sa table sans demander quels hôtes il aura, sans savoir même s’il en aura, ni spéculer sur leur reconnaissance. N’a-t-il pas chez lui et dans lui son dédommagement prévu d’avance : la pensée qui console de tout ? L’un adore les vers, l’autre la peinture, j’en connais que la musique rendrait fous, et qui, les dimanches d’hiver, courent chez Pasdeloup ou chez Colonne, comme au printemps les amoureux vont au bois pour y rêver ! Rêver est bien le mot ! Tous ces programmes, en effet, n’ont plus rien à vous apprendre, tous ces chefs-d’œuvre, vous les avez entendus si souvent que vous ne les entendez plus que vaguement, comme on perçoit les bruits de la nature ; alors votre imagination s’émeut, travaille, et naissent les mirages. Que de fois, en écoutant la symphonie de Mendelssohn, je me suis ainsi raconté le vieux fabliau de Mélusine ! Rappelez-vous, au début de l’ouverture, cette phrase passionnée jaillissant en quelque sorte du frais gazouillement de la source, pensez à ces sonorités frissonnantes, humides, à ces grésillemens partout répandus jusqu’au retour du motif principal où le hautbois joint sa note douloureuse et tendre annonçant le mystère accompli ; la nymphe est devenue femme, la déesse a désormais un cœur pour aimer et pour souffrir humainement. Mais si le répertoire de Mendelssohn abonde en thèmes de ce genre — Mélusine, le Songe d’une nuit d’été, la Nuit de Walpurgis, — que chacun de nous peut varier à sa fantaisie, il y a des maîtres qui formulent leurs idées d’un tel style qu’il s’y faut tenir ; Beethoven n’écrit jamais sur les