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campagne romaine, les calmes horizons des montagnes de la Sabine et le style de Palestrina et de ses contemporains, de même qu’Alexandre Scarlatti et Pergolèse nous entretiennent du soleil et des jardins de Naples et que la musique des Vénitiens nous parle de L’architecture marmoréenne et du romantisme des lagunes. À ce compte, la musique de Zelter éveillerait à son tour l’idée d’une de ces plaines sablonneuses qui entourent Berlin et que jamais une source vive, jamais un rossignol n’ont égayées de leurs chansons. Mais Goethe, qui d’ailleurs ne s’y connaissait point, avait sans doute une raison particulière à lui de goûter par-dessus tout les compositions de Zelter et de préférer à Mozart ce musicien qui n’apportait à sa poésie qu’une sorte de minimum musical insignifiant.

La Lénore de Zumsteeg parut en 1799, suivant de près celle de Johann André et précédant la Lénore de Tomascheck, la première, traitée à la manière du bon vieux temps et nous rappelant le style de Graun ; la deuxième, empreinte de la physionomie de l’époque de Mozart ; et la dernière déjà touchant à Beethoven : une partition d’opéra dans toute la force du terme, ou plutôt une de ces métastases d’opéra comme les aiment aujourd’hui ceux de nos musiciens qui n’ont à leur service ni un librettiste, ni un théâtre. Qu’on se figure une ballade avec des airs, des morceaux d’ensemble et des finales. La Lénore de Zumsteeg a moins de profondeur et de pathétique, mais en revanche plus de caractère. Il ne s’agit pas cette fois d’un opéra in partibus. Le ton du genre est maintenu, le côté nocturne et fantastique du sujet rendu si bien que l’épouvante ne vous quitte pas ; vous sentez que l’auteur croit à ses spectres, qu’il les connaît à fond et les tutoie. La course affolée des deux amans à travers le déchaînement de la tempête, les horreurs qui les accompagnent : processions sinistres, farandoles autour des gibets, les hourrah, les sasa, les trop, trop ! voix de l’espace et de l’abîme, ponts qui retentissent sous l’effréné galop, portes dont grincent les ferrailles, effondrement du cavalier avec sa monture, tout cela imagé, plein de furie et de surnaturel ! Tous du reste ont adopté scrupuleusement le sens et la couleur du texte, et s’il y eut jamais une infidélité de commise, ce n’est pas à la musique, c’est à la peinture qu’il la faut reprocher. Conçoit-on, par exemple, qu’Ary Scheffer ait reporté son sujet à l’époque des croisades, sacrifiant au luxe des costumes, au déploiement de la mise en scène, l’idée mère et l’étonnante originalité de la conception du poète ? Heine ne s’y est point trompé : « L’armée des croisés passe et la pauvre Lénore n’y a pas vu son fiancé ; il règne dans tout ce tableau une mélancolie douce et presque sereine, et rien ne fait prévoir l’horrible apparition de la nuit prochaine. » La Lénore de Burger vit dans une période de protestantisme et d’examen critique, et son amant est