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théâtre un comédien pour vous représenter ce personnage et en même temps que lui, des elfes organisés de manière à se cacher dans le creux d’une noix. C’est ici que Mendelssohn accourt à l’aide de Shakspeare. Écoutons ce scherzo sautillant, pétulant, ricanant, et tout ce que le poète nous raconte de son lutin nous devient aussitôt vraisemblable. Nous voyons gambader Puck derrière la coulisse ; nos oreilles, mieux encore que nos yeux, nous le montrent fendant les airs comme la flèche du Tartare. La poésie fournit le mot, la musique le tourne et le retourne, l’épluche, saisit l’idée et part de là pour une conception nouvelle.

Appliquer simplement des accords sur un texte donné, besogne de philistin ! très finement raillée par Goethe, un jour que, dialoguant avec Eckermann, il déclarait que sa ballade du Pécheur ne pouvait être mise en peinture, parce que cet art n’a point en sa puissance d’exprimer « ce sentiment, cet appétit de l’eau qui par une journée d’été nous invite à nous baigner » et qu’il avait, lui poète, voulu rendre dans ses vers. Que de tableaux pourtant ce sujet n’a-t-il pas inspirés et que de lieds aussi ! C’est que rien n’est en somme plus facile que de s’exercer à ce jeu de transposition. Ne sortons pas de la musique ; vous êtes compositeur, ce motif vous séduit, c’est la chose du monde la plus simple, et vous n’avez qu’à vous laisser faire. « L’eau murmure, l’eau bouillonne : » une figure dans l’accompagnement, cela va de soi. » De l’onde émue, sort une femme : » trémolo, petit accord de neuvième. « Elle chante, elle lui dit : » cantabile à la Gounod pour voix de sirène, et comme résumé, un peu d’élégie, une douce plainte sur le sort de l’infortuné pêcheur disparu sous la nappe humide. Le tour est joué, chaque mot du poème est traduit, rien ne manque à l’illustration, si ce n’est la note caractéristique mise là par Goethe : l’attrait, l’attraction, le sentiment de l’eau dans son idéal de fraîcheur, de profondeur, de transparence et de charme pernicieux.

Est-ce ainsi que procède Schubert ? A Dieu ne plaise ! Quel que soit le thème, il en extrait tout ce qu’il renferme à l’état latent d’expression psychologique et pittoresque et le fait jaillir à la lumière avec des explosions mélodiques à vous renverser.

— Quels secrets a ce diable d’homme ? nous disait Musset, une nuit que nous arpentions le boulevard des Italiens en causant musique[1]. Connaissez-vous un seul bruit de la nature dont il n’ait pas

  1. Les poètes, en général, aiment peu la musique et n’ont guère de goût que pour la peinture. Musset, dans son temps, fit exception à la règle ordinaire. Encore n’en doit-on point conclure qu’il s’y connût. Tout se bornait à des impressions, à des attitudes selon la fashion, et son italianisme pour Bellini comme son germanisme pour Schubert lui venait plutôt par influences féminines ; toujours est-il qu’il avait à très haut degré le don de perception et s’en servait à certaines heures : « Je ne connais rien de plus agréable, après qu’on a bien déjeuné, que de s’asseoir en plein air avec des personnes d’esprit et de causer librement des femmes sur un ton convenable. » Tel était le dilettantisme de Musset : causer musique librement sur un ton convenable.