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telle qu’il la comprendrait, je veux dire de la science ouverte, de la science hétérodoxe, maître, en deux mots, et, sans avoir à craindre qu’on l’accusât de routine ou de témérité, maître d’attaquer la tradition, s’il lui plaisait, ou, au contraire, de la défendre contre les assauts de la nouveauté. Soyez bien sûr d’ailleurs que cette liberté de tout oser ne deviendrait dangereuse, que si l’on asseyait dans la chaire un homme incompétent.

Cette chaire pouvait-elle être mieux placée qu’au Collège de France ? Ce n’est certes pas qu’il n’y eût utilité d’en installer une autre à la Sorbonne, et même dans deux ou trois de nos facultés de province. Elles y feraient sans doute aussi bonne figure, et rendraient autant de services, que ces chaires d’archéologie grecque dont il semble que l’on multiplie le nombre justement à mesure que l’on prend les moyens les plus sûrs de faire par avance le vide autour d’elles, puisqu’on va de plus en plus réduisant la part des études grecques dans l’enseignement secondaire. Mais, quoi qu’il en soit de ce détail, s’il serait bon qu’il y eût plusieurs chaires d’histoire de l’art, il était nécessaire qu’il y en eût une ; et puisque c’est là qu’on l’a d’abord instituée, il est excellent qu’elle soit au Collège de France. Là seulement, en effet, le professeur aura cette entière liberté dont il a vraiment besoin pour faire en quelque façon la fortune d’un enseignement nouveau. C’est au Collège de France que les sciences nouvelles s’éprouvent, et c’est là qu’elles sont admises à faire comme qui dirait leur stage avant que d’avoir droit de cité dans l’enseignement officiel. Or l’esthétique, ou science des conditions de l’œuvre de l’art, comme la logique est la science des conditions de la pensée, l’esthétique est si nouvelle que le nom même dont, nous la nommons n’est vieux que d’un siècle à peine. Et quant à l’histoire de l’art proprement dite, si de riches amateurs ou de laborieux érudits en ont de tout temps assemblé les matériaux, on peut pourtant dire que ce n’est que de nos jours que l’on a compris qu’elle pouvait, qu’elle devait être étudiée, comme l’histoire des littératures, eu elle-même, dans la suite continue de son développement, et dans sa liaison avec les autres parties de l’histoire de la civilisation. La chaire d’esthétique et d’histoire de l’art ne pouvait donc être mieux placée qu’au Collège de France.

Est-ce peut-être pour cette raison que l’on a un moment délibéré de l’en ôter ou plutôt, et c’était tout un, de la transformer en une chaire de zend ? On a beaucoup fait, dans le siècle où nous sommes, pour les études orientales, mais tout en admettant, comme il est vrai, qu’il reste beaucoup à faire, le zend, ayant tant attendu, ne pouvait-il pas bien attendre encore ? Même, et si l’on fait du moins passer le nécessaire avant le superflu, ne serait-il pas plus urgent d’établir une conférence de sanscrit à l’École normale qu’une chaire de zend