Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas là. Car ce n’est pas assez d’une chaire pour l’enseignement de l’histoire de l’art.

Il n’y a pas moins, à Paris seulement, entre la Sorbonne et le Collège de France, de six chaires consacrées à l’histoire de la littérature française : il n’y en a pas moins de cinq, toujours entre ces deux grands établissemens, de consacrer à l’histoire des littératures étrangères. Ce n’est certes pas plus qu’il ne faut. Mais de la manière que l’on traite aujourd’hui l’histoire de la littérature, non plus exclusivement en elle-même, comme autrefois, mais dans ses rapports avec l’histoire même de l’esprit humain, l’histoire de l’art n’a-t-elle pas ou ne devrait-elle pas avoir la même importance et presque occuper la même place dans l’organisation du haut enseignement ? Une toile de Greuze n’intéresse-t-elle pas l’histoire des mœurs du XVIIIe siècle autant qu’un drame de Sedaine ? Cette pompe et cette majesté que l’on s’est habitué, non sans quelque raison, mais non pas aussi sans beaucoup d’exagération, à considérer comme caractéristiques du siècle de Louis XIV, ne sont-elles pas écrites aussi distinctement dans l’ordonnance d’une bataille de Lebrun que dans une oraison funèbre… j’en sais qui oseraient dire de Bossuet, mais nous nous contenterons de dire de Mascaron ou de Fléchier ? Et dans quel livre du XVIe siècle lirez-vous plus couramment le caractère du temps que dans l’architecture de ces châteaux des bords de la Loire, que peut-être notre indifférence n’estime pas à leur valeur, en ce sens que nous n’y prisons pas assez ce que le génie français a produit de plus original dans l’art ?

Il me semble que j’abuserais de la patience du lecteur si je multipliais les exemples. La thèse est de celles qu’il suffit de poser et qui resplendissent de leur évidence. On a pu voir que ce ne seraient pas les hommes qui manqueraient ; puisque donc il est entendu, comme le prouve d’ailleurs l’histoire de cette même chaire que l’on se dispute, que c’est pour les hommes que l’on institue les chaires, quand le Collège de France aura exercé son droit de prélibation, pourquoi ne créerait-on pas quelque part, à la Sorbonne, par exemple, une seconde chaire de l’histoire de l’art ? Je vais même en proposer le moyen. Ce serait de confondre en une seule les deux chaires dites, l’une, d’éloquence et l’autre, de poésie française ; distinction surannée qui n’a pas sa raison d’être, au moins dans notre littérature, où tant de prosateurs ont cru devoir ajouter, je ne sais pourquoi, tant de rimes à leur prose, mais où tant de vrais poètes ont été parfaitement incapables, non pas même d’aligner deux vers, mais d’en mettre un seul sur ses pieds.


F. BRUNETIERE.