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trouver ce spectacle simplement délicieux, et que j’acquitte une dette de reconnaissance en disant cela tout haut, avant aucune réserve, et comme je crois que les autres ont tort de trouver de l’ennui où j’estime que j’ai raison de trouver du plaisir, comme d’ailleurs je ne doute pas de leur sincérité, pas plus que je ne permettrais qu’on doutât de la mienne, j’entreprends d’expliquer cette différence de goûts et d’éclaircir le malentendu. La plupart, c’est convenu, se sont ennuyés sincèrement à Barberine ; quelques-uns, et qui ne tirent pas vanité de leur petit nombre, s’y sont plu sincèrement. Mais qui dit : sincèrement, ne dit pas toujours : naturellement. La sincérité, chez les uns comme chez les autres, est celle d’un sentiment acquis. Les uns, apparemment, n’étaient pas préparés de la même manière que les autres à entendre cette pièce. Si l’on pouvait, par des explications loyales, disposer ceux qui s’y sont ennuyés le plus à s’y plaire une autre fois, j’imagine qu’ils ne regretteraient pas leur ennui. D’ailleurs, j’estime qu’ainsi la chose ne tournerait pas seulement à leur avantage, mais aussi au bénéfice de l’art et de la vérité. Je n’ai pas remarqué sans chagrin que beaucoup de critiques s’étaient appliqués cette fois à justifier la méchante humeur du public. Je voudrais, selon mes forces, réparer leur tort.

« C’est long, » murmurent les gens qui s’ennuient à Barberine, sans s’inquiéter d’ailleurs des raisons de leur ennui ; et aussitôt les docteurs de leur fournir celle-ci : « Cela vous paraît long, parce que ce n’est pas du théâtre. » Qu’est-ce à dire, obligeans docteurs, et que vaut cette excuse ? Je me souviens de l’avoir entendu donner, il y a dix-huit mois, dans ces mêmes couloirs, par un vaudevilliste qui bâillait au Bourgeois gentilhomme : on m’accordera que j’ai le droit de la tenir pour suspecte.

Assurément je n’ai pas pour le théâtre contemporain le dédain superbe que professent M. Zola, d’une part, et, d’autre part, certaine coterie plus facile à désigner qu’à définir, formée de lettrés et surtout de poètes intolérans, où l’on croit avoir le monopole du style et, partant, le droit de prouver, chaque fois qu’on fait œuvre de critique, un pédantisme d’extrême gauche singulièrement plus étroit que celui des bonnes gens du centre. Je n’ai pas fait Bouton de rose ni les Héritiers Rabourdin : je ne suis pas induit à traiter M. Dumas fils, M. Augier, M. Sardou, comme de misérables manœuvres, inférieurs au dernier des jocrisses engagés dans cette troupe de romanciers que voici, inférieurs à M. Céard, — qui, d’ailleurs, ne voit dans Alfred de Musset qu’un « fat. » Je n’ai pas, d’autre part, la superstition du mot, ou, comme ils disent, du « verbe » pris uniquement selon sa valeur intrinsèque, et j’admets qu’on puisse être un bon auteur dramatique sans être un virtuose du vocabulaire et un clown de la syntaxe. Je reconnais non-seulement que l’art dramatique, est soumis comme tous les arts à certaines conventions