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une sorte d’autobiographie très intéressante et très personnelle. Là surtout où la récolte de ce genre de documens est la plus abondante, c’est dans la seconde édition du livre intitulé : Conservation, Révolution, Positivisme. M. Littré s’y donne libre carrière pour ses dernières confidences. Au moment de publier cette nouvelle édition d’un ouvrage depuis longtemps épuisé, dans lequel il avait réuni en 1852 un certain nombre d’articles du National, quand il vint à les relire, il s’était trouvé sur presque tous les points en désaccord avec eux. Que faire ? Ne voulant ni couvrir de son nom des idées qu’il n’admettait plus, ni abandonner à des polémiques posthumes un livre qui subsistait comme un témoin compromettant pour ses idées nouvelles, il prit le parti de publier tout simplement le livre ancien, mais en jugeant chaque chapitre avec l’indépendance complète de sa raison renouvelée et de son expérience acquise. Sa perplexité trouva là une issue. D’une part, il donnait satisfaction à un sentiment courageux de solidarité personnelle qui le portait à ne pas dissimuler des pages malencontreuses ; d’autre part, il se corrigeait lui-même et faisait amende honorable de ses erreurs devant le public. Rien n’est plus intéressant pour l’histoire d’un esprit que cette série de remarques annexées à chaque article, tracées avec une ingénuité, une indépendance incomparables, par un homme qui a su s’affranchir de ses idées d’autrefois, et ce qui est plus difficile, de son amour-propre, se discutant, s’infligeant des blâmes sévères, à l’occasion de certaines erreurs et de faux jugemens qui le stupéfient quand il les rencontre à trente années de distance. Il y a là, en même temps qu’une source précieuse d’informations psychologiques, un spectacle moral qui a sa nouveauté et sa grandeur. C’est l’histoire des variations d’un esprit sincère, racontées par lui-même. Nous voyons là se former graduellement devant nous un portrait d’une ressemblance parfaite, retouché à plusieurs reprises, avec les principaux traits de l’homme, la vaste érudition, la puissance de travail, la curiosité universelle, l’amour inquiet de la vérité (irrequietus amor) joints à une certaine mobilité d’idées qui en était peut-être la marque et l’effet nécessaire. — Un brillant écrivain, jetant un coup d’œil sur l’étonnante succession des événemens et des idées au milieu desquels se déroule notre vie disait, un jour, non sans mélancolie, « que la contradiction est le signe de la vérité. » Nous n’irons pas jusque-là; mais nous accorderons que, dans bien des cas, elle est un signe de sincérité. Elle l’est assurément, au milieu des orages politiques et des révolutions de la pensée qui bouleversent notre siècle et notre pays, pourvu qu’il soit évident qu’elle n’est pas la rançon et le prix d’une ambition personnelle. Or ce désintéressement absolu n’éclate nulle part plus vivement que dans ces récits de M. Littré, nous racontant