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vie de Paris. Un nouvel horizon se découvre. « Aller à tous les meilleurs cours de la capitale, aux leçons d’histoire, de philosophie, de science, des hommes les plus distingués et s’instruire pour rien, c’est une ressource, écrit-il, que Paris seul peut offrir. » S’il avait quarante-huit heures par jour, il les emploierait.

La vie renfermée d’une pension d’internes ne lui convenait pas ; elle étouffait l’essor de son travail. Son père avait craint les distractions, les entraînemens de son âge ; il le connaissait mal. Il pouvait être émancipé sans péril ; quand viendront les écueils, il saura gouverner en habile marin, et peu de pilotes seront plus maîtres de leur marche. Ses idées se dégagent et se fixent. Il se suffit à lui-même. Il se réfugie dans la solitude, y trouve quelques instans de bonheur, quand il peut se figurer qu’il est sorti de la pension, qu’il a cessé d’être esclave, qu’il habite une chambre dont il est le seul maître et qu’il donne à un labeur acharné toute l’ardeur de ses dix-huit ans.

L’heure vint où il put réaliser ce rêve austère. À la pension dont la discipline lui pesait, il substitua une règle bien autrement sévère, mais que sa volonté avait tracée et librement acceptée. Une chambre en mansarde d’une des vieilles demeures de la place Royale, sous le toit d’un avocat qui le recevait à sa table, abrita le jeune rhétoricien. De la fenêtre, il ne voyait que le faîte des maisons voisines ou les arbres de la place, n’entendait que le bruit du jet d’eau. Dans ses premières lettres, son cœur déborde de joie. Il ne travaillait que sept heures à la pension ; maître de lui-même, il a à cœur de regagner le temps perdu. Son père verra ce qu’il peut faire. Levé à quatre heures, il terminait tous ses devoirs avant l’heure du collège. Aussi était-il libre de passer dans l’intervalle des classes trois heures dans la bibliothèque assez bien garnie que son hôte avait mise à sa disposition. Entre l’histoire de France et la littérature il vivait en compagnie des meilleurs auteurs, se nourrissant des ouvrages que lui avait recommandés M. Villemain ou M. Victor Le Clerc. Le soir, rentré dans sa chère petite chambre, il rédigeait les notes de ses lectures du matin. Après le souper, avant l’heure du repos, il trouvait le temps d’ajouter à cette journée laborieuse un peu de poésie, soit en jouant de la flûte, soit en envoyant à Vizelles ses rêves d’avenir auxquels se mêlait, dans le style de Rousseau, l’expression de la tendresse filiale la plus exaltée.

Que d’enseignemens à tirer de ce plan de vie ! Juge-t-on ce que pouvait devenir un esprit distingué, suivant librement tout un programme de lectures choisies par des professeurs éminens, assistant avec assiduité à leurs cours, s’acquittant en quatre heures de la tâche quotidienne et pouvant consacrer six heures à lire ou à rédiger ce qu’il avait lu ! Quelle moisson d’idées ! quels progrès de