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l’esprit ! quelle instruction variée et puissante et quel aliment donné à l’initiative et au développement d’une jeune intelligence ! Un tel emploi du temps ne suggère-t-il pas de singuliers retours sur le présent ? Je le reconnais : les professeurs qui enseignaient, en 1816, la rhétorique à Charlemagne ne se vantaient pas de donner une teinture universelle de la science à leurs auditeurs ; ils n’avaient d’autre ambition que de leur faire connaître les deux plus grands secrets du savoir humain : le goût du travail et une méthode qui leur permît d’apprendre seul dans la vie ; mais, quelques critiques que notre temps leur adresse, nul ne peut prétendre qu’ils ignorassent les moyens d’enseigner tout au moins aux élèves l’art d’écrire ou de s’exprimer en bon français. Jules Dufaure, Michelet et leurs camarades ont fait quelque figure à la tribune et quelque bruit dans les lettres, et l’exemple nous suffit pour montrer aux pédagogues en quête de nouveaux procédés comment leurs prédécesseurs s’y prenaient pour favoriser la libre éclosion de talens qui devaient honorer leur siècle.

À ce régime, l’intelligence du rhétoricien s’ouvrit et se fortifia. Il vécut dans le XVIIe siècle, ne le quitta que pour se nourrir dans le XVIIIe de Montesquieu, qu’il admirait passionnément. Il y avait en lui deux natures : Bossuet, Pascal et Montesquieu satisfaisaient son austère maturité, et Racine, Jean-Jacques et Bernardin de Saint- Pierre charmaient sa jeunesse. Il revenait toujours, en ce temps-là, à Racine : « Plus j’avance, écrit-il, plus je trouve qu’il est difficile d’écrire bien le français. Je lis le plus que je peux Montesquieu, Tacite, Bossuet, quelquefois Massillon et Fénelon ; mais surtout Racine. Il me semble que dans Racine on apprendrait aussi bien à écrire que dans tous les autres ensemble. Ne trouve-t-on pas le style de Montesquieu et de Tacite dans Britannicus, celui de Bossuet dans Athalie, celui de Massillon et de Fénelon dans Iphigénie, Esther, Andromaque ? »

Il s’attachait avec une telle force à la littérature qu’il aurait voulu redoubler la classe de rhétorique. Il lui fallut toute l’énergie de sa raison précoce pour renoncer à un projet qui faisait entrevoir au vétéran parvenu au terme de ses études les palmes du grand concours. Il s’efforça de convaincre son père, puis il céda ; d’autres soucis allaient l’occuper ; il était temps de faire chi)ix d’un état. On avait longtemps pensé au barreau, mais, avec le retour des Bourbons et les acclamations des habitans de Bordeaux, il n’était pas un hobereau de la Gironde qui ne se crut des droits à une charge de cour. Ce vent d’ambition avait soufflé sur toute la province, et les amis du père de famille vinrent à Vizelles pour tenter de le séduire. À Paris même, des parens laissèrent entrevoir à l’écolier que le chemin des honneurs lui serait moins rude que la carrière à laquelle il