Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/607

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV.

Lorsqu’en mai 1818 l’étudiant de seconde année entrait dans la première réunion de jeunes gens où il devait s’exercer à la parole, ses études juridiques étaient commencées depuis dix-huit mois. Il y avait réussi par la résolution d’une volonté tenace, mais sans qu’aucun goût le portât vers la législation. Il avait obéi à son père et satisfait en même temps aux inspirations d’une vocation secrète qui lui montrait dans les études arides de quelques années un sur acheminement vers le barreau dont il entrevoyait les luttes éclatantes, tandis que sa reconnaissance filiale rêvait d’en tirer pour ses parens la récompense de leur vieillesse. Néanmoins aucun indice ne permettait de prévoir ses aptitudes ; il avait l’imagination de son âge ; il aimait passionnément les projets, les rêves, vivait dans l’avenir, s’y abîmait dans de longues réflexions, d’où il sortait en se demandant quand il pourrait se dire avocat, quand il pourrait s’écrier : Moi aussi, je suis orateur ! Dès le premier jour, la conférence apparaissait comme l’avant-coureur de sa vie. Il allait saisir ce mirage qu’il poursuivait depuis si longtemps. Il témoigne de sa joie, explique que la réunion est composée de membres très forts sur le droit, qu’il y parlera souvent, qu’il est déjà chargé de deux causes. « Je sens, écrit-il à son père, combien il me faudra travailler, mais je ne m’en repens pas. Nous tenons nos séances tous les huit jours dans une salle du palais ; ainsi tu vois que ces voûtes vont déjà connaître ma voix. Puisse-t-elle un jour devenir digne des soins et de la bonté avec lesquels tu l’as cultivée ! »

Une semaine plus tard, il a fait ses premiers pas. Écoutons le récit de sa bouche, il n’y a pas un mot à en perdre : « J’ai débuté lundi dernier à ma conférence. Comme ma cause ne valait rien, j’avais fait un plaidoyer fort court ; mon adversaire, en me répondant, sema son discours de quelques erreurs qui m’offraient un sujet de réplique ; malheureusement il fallait parler de suite ; il fallait improviser ; je ne l’avais jamais fait, j’étais prêt à sacrifier ma cause à ma crainte. Cependant, je m’enhardis, je me lève et je parle pendant près d’un quart d’heure ; j’étais, je te l’assure, fort étonné de moi, cependant c’était tout naturel. J’avais bien préparé ma cause, de sorte que les raisons se présentaient sans peine à mon esprit qui les avait déjà méditées. Ajoute à cela que, vers le milieu de mon discours, il m’est survenu le souvenir d’une phrase de Montesquieu qui a servi de texte à toute ma seconde partie. Il me semble qu’une autre fois, je serai plus hardi, mais je sens combien