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Bordeaux concilierait les besoins de son cœur et le soin de son avenir ; il serait encore près de ses parens, il pourrait les attirer, leur « rendre ce qu’il a reçu d’eux et recueillir peut-être quelques rayons de gloire. Qu’importeront les longs travaux ? Si on obtient après tant de désirs le prix de tant d’efforts, il me semble qu’on n’a plus à regretter d’avoir sacrifié la moitié de cette vie mortelle pour rendre l’autre moitié toute divine. (18 novembre 1818.) » Il vivait ainsi dans un idéal d’enthousiasme qui maintenait son âme dans une sphère supérieure aux petitesses et aux découragemens des hommes.

En poursuivant un si noble but, en tournant toutes ses pensées vers le travail, le jeune étudiant avait acquis un grand ascendant sur ses camarades ; on en vit la preuve lors des troubles qui eurent lieu à l’École de droit. À la veille des examens, à la fin de juin 1819, un professeur de procédure criminelle, M. Baveux, traitant de la liberté individuelle, montra combien elle était mal protégée par nos lois et évoqua le souvenir de la Déclaration des droits de l’homme. Aux acclamations d’une partie des auditeurs répondirent les sifflets d’un grand nombre ; à dater de ce jour, la salle des cours devint le rendez-vous des passions les plus ardentes. La lutte s’engagea entre les deux partis, qui se qualifiaient mutuellement de « jacobins » et « d’ultras. » Le cours fut suspendu. Le 1er  juillet, à l’heure où il devait avoir lieu, l’intérieur et les abords de l’école étaient encombrés par une foule ameutée. Il y avait « autant d’officiers à demi-solde et d’étudians en médecine que d’étudians en droit. » Un commissaire de police qui avait pu pénétrer, fut aussitôt chassé et les portes furent fermées derrière lui. L’École de droit était au pouvoir des étudians, qui songeaient à assiéger le doyen. Jules Dufaure était là avec toute sa conférence. Il n’hésita pas ; il avait applaudi le professeur, mais haïssait le désordre. Il anima ses camarades, contribua à faire respecter avec eux la porte du doyen. Un étudiant en médecine venait de saisir un garde du corps et le maltraitait ; il le fit délivrer. Appelé par ses camarades, il monta dans la chaire du professeur pour s’efforcer d’apaiser les esprits, « sermonna les étudians en médecine qui prenaient leur école pour champ de bataille » et fit si bien qu’aucun acte coupable ne fut accompli. Pendant que ces scènes se passaient à l’intérieur, les troupes cernaient l’école ; elles reçurent pour consigne d’empêcher personne d’entrer et de permettre aux étudians de sortir : la fatigue, l’absence de but et surtout la faim diminuèrent peu à peu le nombre des perturbateurs et avant le soir, les plus mutins avaient cédé. — L’école fut fermée, le jeune étudiant en fut désolé ; mais s’il n’arrivait pas à Vizelles, comme il l’avait espéré, avec son titre de licencié, il emportait le souvenir bien autrement