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Il faut néanmoins reconnaître que ces deux mesures très distinctes se rapprochent par un certain côté. D’après l’opinion formellement exprimée par lord Coke dans ses Institutes, les royaumes qui vivent en amitié les uns avec les autres doivent être « un sanctuaire inviolable » pour les sujets respectifs qui cherchent un asile dans l’un ou dans l’autre pays. M. Sapey, dans un mémoire couronné par la Faculté de droit de Paris, exprimait le vœu que « le territoire de chaque nation, devenu sacré, fût un asile dans l’antique et religieuse acception du mot. » En effet, si l’on admet que le territoire de chaque pays soit un sanctuaire inviolable, ouvert aux malfaiteurs de tous les autres pays, le droit d’extradition disparaît en même temps que le droit d’expulsion. Chaque peuple est obligé de garder en-deçà de sa frontière tous les voleurs et tous les assassins qui sont parvenus à la franchir, qu’on les lui réclame ou qu’on ne les lui réclame pas.

Cette façon d’entendre la fraternité internationale est, à vrai dire, peu commune. Voici un faussaire qui a dupé des milliers de gens et qui, la bourse pleine, a pu gagner la Suisse ou la Belgique. Peu de publicistes s’apitoient sur le sort de ce coquin, si méchamment poursuivi par le gouvernement du pays qu’il a fructueusement exploité. L’asile a pu avoir sa raison d’être quand il servait à protéger la faiblesse contre l’abus de la force. Il perd toute raison d’être s’il n’assure que l’impunité des coupables. Quel intérêt mérite, en effet, cette classe de fugitifs ? N’est-il pas désirable que ces méfaits puissent être recherchés et punis ? N’est-ce pas une conception grossière, enfantine des droits et des devoirs internationaux que de paralyser ainsi l’application de lois nécessaires en empêchant deux peuples voisins de se livrer réciproquement leurs malfaiteurs ? Ne serait-ce pas, en outre, créer sur chaque frontière un grand péril public ? Les départemens frontières seront-ils habitables si les auteurs des crimes qu’on y commet peuvent se dérober au châtiment en passant sur le territoire limitrophe avant qu’on ait eu le temps de mettre à leur poursuite la police et la gendarmerie ? Enfin, si le fugitif prétend n’être pas extradé, quel droit propre peut-il invoquer ? À l’abri de quelle idée morale ou politique va-t-il se placer ? Comment justifiera-t-il sa résistance ? S’il est livré, c’est par la volonté même de sa nation, dont l’étranger n’est ici que le mandataire. Contempteur des lois de son pays, il n’a pas, pour avoir enjambé la frontière, échappé à la juridiction de son pays.

Ceux qui n’admettent pas le droit d’extradition contestent, à plus forte raison, le droit d’expulsion. Le publiciste portugais Pinheiro-Ferreira, qui fut successivement professeur à l’université de Coïmbre et chargé d’affaires à Berlin, après avoir soutenu que « jamais il ne peut y avoir lieu à extradition si ce n’est dans le cas où le défendeur