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Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on s’efforce même, pour atténuer les maux de la guerre, de n’user d’un droit si légitime qu’à la dernière extrémité. La Russie elle-même, en avril 1854, publie un avis aux termes duquel les sujets anglais et français, s’ils s’adonnent paisiblement à leurs affaires et observent les lois en vigueur, « jouiront pleinement, sur le territoire russe, de la même protection et de la même sécurité qu’avant la guerre, soit pour leurs personnes, soit pour leurs propriétés. » Le 4 mai 1859, le gouvernement français autorise les sujets autrichiens qui résidaient en France à y résider encore pendant la guerre « tant que leur conduite ne fournira aucun motif de plainte, » subordonnant toutefois leur admission sur le territoire à des autorisations spéciales qui ne devaient être accordées qu’à titre exceptionnel. Une déclaration analogue avait été publiée par le Journal officiel français du 21 juillet 1870, au début de la guerre franco-allemande. Mais ces généreuses intentions durent bientôt plier sous le joug des faits, et les nécessités de la guerre, on le sait, dictèrent une autre conduite. Le préfet de police put, le 4 août 1870, sans violer les règles du droit international, ordonner que tout étranger originaire de la Prusse, des pays de la Confédération du Nord, de la Bavière, du Wurtemberg, du grand-duché de Hesse et du grand-duché de Bade et résidant dans le ressort de sa préfecture fût astreint à demander un permis de séjour dans un très bref délai et, s’il n’obéissait, mis en état d’arrestation[1].

Mais, hors ce cas spécial, les prohibitions et expulsions collectives sont contraires au droit des gens. « L’exclusion des étrangers pour cause de religion, dit Bluntschli, comme on la pratiquait au Maroc et à Bochara à l’égard des chrétiens, doit être réprouvée avec énergie. » La science du droit international condamne évidemment au même titre cette loi de 1703, qui fut si longtemps applicable en Espagne et qui expulsait en masse du territoire espagnol les Anglais et les Hollandais non catholiques. Elle n’approuvera pas davantage l’exclusion dont sont en ce moment menacés les Chinois, aux États-Unis, pour une période de vingt ans. Grotius, dès les premières années du XVIIe siècle, avait, cette fois, posé très nettement et résolu très exactement la question. Il blâme les Athéniens d’avoir défendu, d’une façon générale, l’entrée de leurs ports aux Mégariens et voit dans cette prohibition collective un juste sujet de guerre. Mettre en interdit, par une expulsion collective, tous les membres d’une nation, c’est en effet mettre en interdit la nation elle-même. Celle-ci

  1. Le préfet de police ajoutait : « La présente ordonnance n’est pas applicable à ceux de ces étrangers qui ont perdu, par une autre naturalisation, leur nationalité d’origine ni à ceux qui ont été admis, par autorisation du gouvernement, à établir leur domicile en France. »