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faudra-t-il se résigner aux lenteurs d’une procédure judiciaire et manquer par là même le but qu’on veut atteindre dans l’intérêt de la patrie? Quand la question fut étudiée en section centrale dans la chambre des représentans de Belgique (session de 1864-1865), il fut reconnu qu’on ne pouvait pas constituer les tribunaux juges des questions de sécurité publique, parce qu’on les ferait ainsi participer à la direction politique des affaires, qu’il ne fallait pas d’ailleurs déplacer la responsabilité du gouvernement et que celui-ci devait être, à l’exclusion du pouvoir judiciaire, responsable de l’ordre intérieur et des bonnes relations internationales. Tout esprit sensé doit aboutir à cette conclusion.

Nous n’admettrions l’intervention du pouvoir judiciaire qu’à titre exceptionnel et dans deux cas. Si l’expulsé prétend être un national, il doit pouvoir exciper de sa nationalité devant les tribunaux civils. Ceux-ci sont exclusivement compétens pour résoudre la question d’état, et, s’ils la résolvent en sa faveur, doivent pouvoir annuler le décret d’expulsion[1]. Si le législateur a limité dans certaines hypothèses l’action du pouvoir exécutif, comme en Belgique, par exemple, où le gouvernement ne peut pas contraindre un étranger décoré de la croix de fer à quitter le royaume, les tribunaux civils sont encore compétens pour décider si la loi a ou n’a pas été violée et pour rendre à l’étranger le plein exercice des droits que la toute-puissance législative lui a conférés.

C’est pourquoi certains publicistes ont conseillé de modérer l’action du pouvoir exécutif en spécifiant expressément d’avance, dans un texte législatif, les cas d’expulsion. La proposition fut faite en 1865, dans la chambre des représentans de Belgique et repoussée par la même section centrale à la majorité de quatre voix contre une ; la section se demanda très judicieusement comment on pourrait préciser toutes les circonstances où l’ordre et la tranquillité publique se trouveraient compromis : « Les faits, dit-elle, empruntent souvent leur importance aux événemens au milieu desquels ils se produisent, et, par cela même que les circonstances varient, que la situation extérieure se modifie, tel acte peut être dangereux aujourd’hui qui ne le sera pas demain. Le gouvernement seul peut apprécier à chaque heure ce que réclame l’intérêt public. » Ce raisonnement est, à notre avis, sans réplique. Cela ne signifie pas que la philosophie et la science sociale reconnaissent à un gouvernement quelconque la faculté d’exercer le droit d’expulsion d’une manière arbitraire et vexatoire. Mais ce n’est pas le droit public interne de chaque pays qui doit poser la barrière. Si les expulsions se succèdent

  1. Nous raisonnons, bien entendu, en théorie pure, et abstraction faite des doctrines qui ont pu prévaloir dans tel ou tel état européen sur la séparation des pouvoirs.