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déjà donnée, d’établir un domicile, ou doive confirmer soit l’arrêté ministériel, soit le décret même d’expulsion, après avoir pris l’avis du conseil d’état, sans être d’ailleurs obligé de le suivre. Mais on propose, pour la première fois, d’assimiler aux étrangers admis à établir leur domicile dans notre pays ceux qui y résident d’une façon permanente depuis plus de trois ans. Est-ce excessif?

On peut aller jusque-là, ce me semble, sans compromettre l’ordre intérieur et la sécurité générale. Les étrangers qui séjournent aussi longuement dans un pays, surtout quand ils y séjournent sans interruption, ne sont pas de ces « agitateurs errans » signalés par le rapporteur de la loi du 3 décembre 1849, qui vont de contrée en contrée prêcher la révolution sociale. S’ils s’installent pendant trois ans, c’est en général pour travailler. Ces hôtes laborieux peuvent aussi sans doute, à un moment quelconque, se laisser séduire par les ennemis de la France et abuser de l’hospitalité qu’elle leur a si longtemps donnée. S’ils commettent cet acte d’ingratitude, le gouvernement n’est pas désarmé; il peut les renvoyer sur l’heure sans en référer préalablement à qui que soit. Puis, au bout de deux mois, quand il a tout interrogé, tout approfondi, s’il croit avoir affaire non à des égarés qui reconnaissent déjà leurs torts, mais à des perturbateurs opiniâtres, il lui suffit de déclarer qu’il ne s’était pas trompé. Dès lors, on peut donner ce surcroît de garanties à des gens qui ont, par la durée et par la continuité de leur séjour, manifesté leur attachement au sol français. Le projet, en reproduisant d’une façon très large, mais seulement quant à l’exercice du droit et sans en altérer le principe, la distinction proposée par Bluntschli entre les étrangers qui résident temporairement dans un pays et ceux qui y ont établi un domicile fixe, fait donc prévaloir une des maximes que la science du droit des gens propose aux législateurs de l’Europe, et laisse au gouvernement français un instrument de défense nationale que l’intérêt de la patrie défend de lui enlever[1].


ARTHUR DESJARDINS.

  1. Nous devons rappeler, pour ne rien omettre, que la France et le Pérou se sont réciproquement engagés (traité du 9 mars 1861) à ne pas expulser leurs nationaux sans avoir communiqué les causes de l’expulsion et les documens justificatifs aux agens diplomatiques ou consulaires de la nation à laquelle appartient l’intéressé et sans accorder à ce dernier un temps suffisant pour présenter sa défense ou pour prendre, de concert avec ces agens, les mesures nécessaires pour mettre en sûreté son avoir ou l’avoir d’autrui, dont il serait détenteur. Des traites analogues ont été conclus avec le Honduras (22 février 1856) et le San Salvador (2 janvier 1858). Ce ne sont pas les habitans du Pérou, du Honduras et du San Salvador, résidant en France, qui pourront, en général, nous causer de grandes inquiétudes. Le gouvernement français, traitant avec ces états secondaires et fort éloignés, a donc pu, sans inconvénient, subordonner l’exercice de son droit à l’accomplissement de ces formalités exceptionnelles.