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Que beaucoup de ses griefs fussent légitimes, qui voudrait le nier? Mais d’autres que nous ont souffert des mêmes abus sans garder les mêmes ressentimens. On ne peut haïr à tel point que ce qu’on ignore, et la principale raison d’un état d’esprit si peu naturel, c’est que l’imagination du peuple a gardé le souvenir amplifié des crimes et des misères du temps pissé, sans qu’on ait pris soin de lui en rappeler les bienfaits et les grandeurs. L’adversaire le plus décidé de l’ancien régime, pour peu qu’il l’ait étudié, ne peut tout envelopper dans la même réprobation; l’ignorance seule est capable de ces haines absolues. » Qu’a dû penser M. Bréal d’un manuel destiné à prouver à notre jeunesse que la France n’existait pas avant 1789, que tout était haïssable dans l’ancien régime, qu’il n’y avait alors que chaos, barbarie, injustice, abus crians, l’abomination de la désolation? Les vignettes servent de commentaire au texte ; il en est deux, placées à l’opposite l’une de l’autre, qui nous montrent un village d’avant la révolution et un village d’aujourd’hui. Par un artifice digne du père Patouillet, l’un nous est représenté en hiver et enseveli sous la neige; l’autre s’épanouit en plein printemps, tout est vert, tout est fleuri, et sûrement le rossignol chante. Faut-il en conclure que l’hiver est un de ces abus que la révolution a supprimés? Mieux vaudrait nous ramener à l’Alphabet des sans-culottes. C’était du vin bleu, mais du vin plus franc. On lisait dans cet Alphabet par demandes et par réponses: « Qu’est-ce qu’un brave sans-culottes? — C’est un brave dont l’âme ne peut être corrompue par l’or des despotes. — Quelles sont les vertus des sans-culottes? — Toutes. » M. Bert a aussi du goût pour les demandes et les réponses; il demande à l’enfant dans un article de son questionnaire : « De quelle époque date l’idée de patrie ?» A quoi l’enfant doit répondre que la patrie a été inventée pendant la révolution, que Jeanne d’Arc comme l’Hôpital, que Catinat comme Vauban n’en avaient point, qu’au surplus, de leur temps, la bravoure était presque aussi inconnue que le patriotisme, qu’il n’y avait alors que des sujets occupés à faire des révérences. Une autre vignette en fait foi. Et voilà ce que M. Bert appelle former le cœur et le jugement de la jeunesse. Mais que répondra-t-elle, cette jeunesse aux collectivistes qui se feront, un jeu de lui démontrer que la révolution n’a supprimé que Is moins crians des abus, qu’elle a lais-é subsister la tyrannie du capital, l’odieuse inégalité du prolétaire et du rentier, que la société qu’elle a fondée ne vaut guère mieux que l’ancien régime et n’offre du haut en bas que chaos, barbarie, injustice, l’abomination de la désolation?

Ce qu’on ne saurait trop admirer, c’est à quel point certains adversaires de l’église ne sont que des cléricaux retournés. Le propre du clérical est de juger les hommes sur leurs opinions, de damner quiconque ne pense pas comme lui, de faire le terrible discernement des boucs et des brebis, d’envoyer les uns dans le feu de l’enfer, les autres