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toujours possibles, qui ont été des prédécesseurs, auraient apparemment, eux aussi, leur droit d’interprétation à l’aide duquel ils tireraient de l’obligation légale ce qu’ils voudraient au profit de leurs théories et de leurs passions. M. le ministre de l’instruction publique se fait une illusion flatteuse lorsqu’il promet qu’on n’abusera pas de l’arbitraire, que tout se passera paternellement. Que sait-il de ce qui arrivera après lui? Il n’en sait rien, il ne peut rien garantir, pas plus qu’il ne peut affirmer que l’enseignement laïque, tel qu’il est décrété par la loi nouvelle, sera, au point de vue religieux, un enseignement neutre. Là aussi il prodigue les déclarations rassurantes. Il parle en politique, il ne veut pas plus d’irréligion d’état que de religion d’état : c’est son mot. Il assure qu’on enseignera « la vieille morale de nos pères. » Il ne veut pas qu’on mette en doute le spiritualisme que l’Université professe, qui sera enseigné dans les écoles primaires comme il l’est dans les lycées. Il se moque presque de ceux qui l’accusent de vouloir chasser Dieu de l’école. Soit, mais s’il en est ainsi, pourquoi ne pas accepter le simple amendement qui parle des «devoirs envers Dieu? » Il y a malheureusement quelque chose de plus fort, de plus décisif que toutes les protestations de M. Jules Ferry, c’est la réalité qui le presse, et la réalité, c’est que le caractère de la loi nouvelle est déterminé moins par une parole ministérielle que par les opinions, par les manifestations incessantes de ceux qui l’ont inspirée, commentée d’avance et imposée.

La signification de la loi, c’est M. Paul Bert qui la donnait l’été dernier, lorsqu’il réunissait autour de lui les instituteurs pour les animer de sa pensée et de son fanatisme, pour leur dire qu’ils représentaient « la science, reine des temps modernes, » en face de l’église, « reine des temps obscurs et passés, » en face de u la foi qui a pour directrice la mort et non la vie. » Ce que sera l’école primaire selon le progrès « laïque, » c’est encore M. Paul Bert qui le dit dans ce Manuel d’instruction civique, où il remplace les « devoirs envers Dieu» par toute sorte de notions ridicules faites pour fausser l’intelligence des instituteurs avant de troubler des imaginations d’enfans et pour livrer l’enseignement français à la risée du monde. Le dernier mot de la loi enfin, le mot sibyllin, M. le président de la commission du sénat l’a laissé échapper l’autre jour avec une naïve crudité en répondant à l’auteur d’un amendement : « Je ne veux pas de votre amendement parce que je suis athée. » Fort bien! M. le président de la commission est athée, il en a le droit, et s’il soutient si chaudement l’œuvre à laquelle il a coopéré dans une commission officielle, il est bien clair que c’est parce qu’il la juge conforme ou favorable à ses idées. Les commentaires de M. Schœlcher et de M. Paul Bert, dira-t-on, ne sont pas la loi. C’est manifestement au contraire par ces déclarations que la loi se caractérise. C’est sous ce pavillon