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de la complaisance ou quelques excitations imprudentes, deviendraient aisément d’inextricables complications. C’est vrai; mais il y a aussi l’intérêt des peuples qui résiste, il y a la raison des gouvernemens qui se défend contre la tentation des aventures. En un mot, à côté de tout ce qui semblerait préparer de nouveaux conflits, il y a tout ce qui conspire pour la paix, tout ce qui est fait pour empêcher les nuages de devenir des orages. Les discours qu’un officier du tsar, le général Skobelef, a semés récemment sur tous les chemins de l’Europe, ces discours ont bien pu faire quelque bruit et avoir leur gravité, ne fût-ce que comme expression des sentimens qui animent une partie de l’armée russe; ils restent pour le moment une excentricité soldatesque qui ne représente pas la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg, et l’empereur Alexandre III vient de saisir la première occasion qui lui a été offerte pour parler en chef de la Russie. A propos de l’anniversaire de la naissance de l’empereur Guillaume, le jeune tsar a envoyé à son vieil oncle d’Allemagne non-seulement ses vœux de parenté et de sympathie personnelle, mais le témoignage chaleureux du prix qu’il attache au maintien de la paix, à la cordialité des rapports traditionnels entre les deux empires. D’un autre côté, c’est évidemment dans une intention pacifique, pour dissiper des ombrages, qu’on cherche encore à ménager une entrevue de l’empereur de Russie et de l’empereur d’Autriche. Cela veut dire que, s’il y a des antagonismes de politiques, des incompatibilités d’ambitions et d’intérêts entre les trois empires du Nord, on fera certainement ce qu’on pourra pour en différer l’explosion.

Ce dont il faut bien convenir, même en écartant les chances de trop prochains conflits, c’est que l’Europe est depuis quelques années dans un désarroi assez complet pour que la paix semble toujours précaire, pour qu’on se figure avoir tout sauvé quand on a gagné une année ou quelques mois. Les événemens se sont déployés à diverses reprises avec une force si irrésistible et si aveugle qu’ils ont confondu tous les rapports, toutes les traditions, qu’il n’y a plus, à proprement parler, de système européen, qu’il ne peut y avoir entre les cabinets que des combinaisons d’un moment. Les relations les plus naturelles sont à la merci d’un incident. Entre la France et l’Italie, que tout devrait rapprocher, on voit ce qui en est. C’est plus que jamais difficile à définir. Il y a déjà assez longtemps que le dernier ambassadeur italien, M. le général Cialdini, a quitté Paris, renonçant à sa mission, et il n’a pas encore de successeur. D’un autre côté, il n’y a que quelques jours, M. le marquis de Noailles, après avoir représenté pendant bien des années et avec autant d’intelligence que d’honneur la France à Rome, a reçu une mission nouvelle; il a été nommé ambassadeur à Constantinople, à la place de M. Tissot, qui va lui-même à Londres. M. le marquis de Noailles est allé tout récemment