Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/741

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui m’agite encore à ce souvenir, s’était produit en novembre 1852, au moment où la présidence décennale allait devenir l’empire héréditaire, si toutefois le peuple consulté y consentait : le peuple y consentit. Le 14 juillet 1853, Louis de Cormenin m’écrivit : « Illumine si tu veux ; tu avais raison ; je viens d’envoyer ma démission au ministre. Je quitterai, lundi, la rue des Poitevins, ou je resterai jusqu’à la fin de la semaine. » Louis, en effet, avait reconnu que je ne m’étais pas trompé ; le grand format adopté par le Moniteur et l’adjonction du roman en feuilletons quotidiens avaient mis en péril l’existence des autres journaux où tant d’hommes de lettres trouvaient à vivre ; comme il était d’une bonne foi irréprochable, il convint que mes prévisions avaient été justes et se retira. Il alla porter lui-même sa lettre de démission à M. Fould et lui expliqua qu’un rédacteur en chef était inutile au Moniteur ; un simple directeur suffisait : M. Fould accueillit l’observation, et Louis de Cormenin ne fut pas remplacé. Deux ans après, je voulus me rendre compte de l’influence que la transformation du Moniteur officiel avait exercée sur les autres journaux ; dans trois d’entre eux, appartenant à ce que, faute de meilleurs mots, on appelait alors l’opposition, je pus avoir des renseignemens précis. Les abonnemens avaient diminué environ d’un tiers ; comme la quantité des annonces est touiours en rapport avec le nombre des abonnés, les annonces avaient baissé dans la même proportion. C’était une perte qu’il fallait réparer ; on la fit naturellement supporter à la rédaction, c’est-à-dire aux gens de lettres, dont la rémunération fut réduite.

Le décret du 17 février eut sur la littérature abstraite une influence Néfaste. Il fallait que les journaux offrissent un aliment quelconque à la curiosité des lecteurs ; toute discussion politique, toute interprétation des actes administratifs étant forcément mise de côté, on chercha à réveiller un peu l’intérêt public en sautant par-dessus le mur de la vie privée et en racontant d’une façon discrète, mais transparente, les scandales dont une ville comme Paris n’est pas avare. Le comte de Morny y fut pour quelque chose. Un soir qu’un ministre se plaignait en sa présence que l’on eût raconté une anecdote qui aurait dû tester secrète, il répondit : Baste ! pourvu qu’ils ne parlent point politique, laissez-leur dire ce qu’ils voudront ; tant pis pour ceux dont on lèvera les masques ! » C’est alors que la presse quotidienne se modifia et prit l’allure indiscrète qu’elle n’a plus abandonnée depuis ; partout il y eut des reporters aux écoutes, et ce qui se passa derrière les portes ne fut plus un mystère ; la critique dramatique hebdomadaire qui, jadis, suffisait à défrayer l’intérêt qu’inspirent les spectacles, fut rejetée au second plan ; dans les théâtres, on négligea les œuvres pour s’occuper des personnes ; chaque jour, les bruits