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de coulisse obtinrent les honneurs d’un article spécial : on sut où Mlle N… et Mme W... faisaient faire leurs toilettes et qui soldait les factures. Ces bavardages n’ont, en somme, aucune gravité et ne causent que bien rarement un préjudice appréciable, car il est à remarquer que la plupart des gens dont on entretient le public sont enchantés que l’on parle d’eux. Je pourrais citer telle « madame » qui donne à danser et qui paie une redevance fixe à un journal pour que l’on y fasse mention de ses bals.

L’inconvénient est plus grave et d’un ordre plus élevé. Les jeunes gens qui, tout le jour, battent le pavé, afin de pouvoir écrire, le soir, un article « bien informé » sont, pour la plupart, des hommes de talent, que la facilité de la tâche et la rémunération relativement importante ont détournés du culte des lettres. Tel qui, dans l’espace de dix ans, a écrit mille « échos des salons » et qui s’est fatigué à ce métier, eût pu faire trois ou quatre bons romans, un ou deux volumes de poésie dont la littérature aurait profité. J’ai connu un poète d’un grand avenir qui use sa vie dans les papotages d’un journal agressif. Que de fois, en lisant ces articles vifs et pimpans, où l’étincelle jaillit à chaque ligne, qui donnent une vraie joie aux raffinés, mais dont la mémoire ne conserve aucun souvenir, que de fois j’ai pensé au Lucien de Rubempré, du Grand Homme de province à Paris, et j’ai regretté le talent dispersé à pleines mains dans des œuvres périssables, tandis qu’il eût brillé d’un solide éclat s’il eût été cristallisé dans un livre! Ceux qui ont résisté à la tentation, qui ont couru la chance des volumes lorsque le journal s’ouvrait à eux, avaient une forte vocation, et il faut les en louer. Si l’on écrit plus tard l’histoire de la littérature sous le second empire, si l’on se demande pourquoi elle a été indécise, un peu sénile, faite en réminiscence de Victor Hugo et de Balzac, sans originalité en un mot, on trouvera la réponse dans le décret du 17 février, qui, croyant ne s’attaquer qu’à la politique, a frappé les lettres mêmes et les a énervées.

C’est de la même époque et pour les mêmes causes peut-être que date l’avènement d’un genre de littérature qui, jusque-là, n’avait guère été représenté que par des affiches, des annonces et des prospectus. Le mot littérature appliqué à cette sorte de chose est excessif, je le sais bien, mais il n’en est pas d’autre pour exprimer ce qui s’imprime et se publie. Les opérations de bourse acquirent une importance considérable, l’activité qui ne pouvait plus trouver à s’employer à la politique se rejeta sur les finances et sur l’industrie; à cette expansion nouvelle des intérêts matériels il fallut des organes nouveaux de publicité, et l’on créa la presse financière. « Les affaires» furent nombreuses et hardies. On inventa des journaux