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frivole, pourquoi se donnerait-il la peine d’un sentiment désagréable ? La bonté du sceptique, est la plus assurée. » Le scepticisme de M. Renan n’a donc rien de mécontent de lui-même, d’inquiet, d’attristé : c’est un scepticisme souriant et satisfait. Nous voilà fort loin de Pascal, que le doute aurait tourmenté et qui recommande de « s’abêtir » pour croire. — C’est un procédé auquel M. Renan n’aura jamais recours. — Il ressemble plutôt à ces philosophes anciens qui paraissent préférer la recherche de la vérité à la vérité même. Tenter des questions insolubles, soutenir des hypothèses téméraires, construire avec des matériaux fragiles des systèmes hardis, battre tous les sentiers, entreprendre tous les voyages sans espoir d’arriver au but, marcher sur la terre ferme ou se perdre dans la nue est moins pour eux un besoin de leur âme affamée de croyances qu’un exercice et un jeu de leur esprit avide de mouvement. Ils s’y donnent tout entiers ; ils convient à ce travail leur imagination comme leur raison et sont aussi fiers d’une fiction ingénieuse ou d’une fantaisie brillante que d’une solide découverte. En un mot, ils se jettent audacieusement dans tous les problèmes de l’inconnu moins avec l’espoir de les résoudre que pour le plaisir et l’orgueil d’exercer leur intelligence et d’en jouir. M. Renan me semble un peu de leur famille.

On pensera ce qu’on voudra de cette disposition d’esprit que M. Renan étale partout avec une certaine coquetterie ; je n’ai ni à la combattre, ni à la défendre. Ce qui est sûr, c’est qu’elle n’est pas de nature à faire des prosélytes. Le doute ainsi présenté ne saurait être communicatif ; celui qui hésite lui-même sur la voie qu’il doit suivre n’entraîne pas la foule après lui. Ne serait-ce pas une insigne folie que de se mettre sous la conduite d’un homme qui prend la peine de nous annoncer à chaque instant qu’il ne sait pas trop où il va ? M. Renan n’a aucun goût pour les gens qui, comme saint Paul ou Luther, « croient lourdement, » c’est-à-dire qui éprouvent le besoin d’inventer des systèmes, qui imposent des dogmes, qui créent des orthodoxies. Les gens « qui croient lourdement » ont des disciples ; ceux qui se jouent entre les opinions marchent seuls. C’est, je crois, ce qui est arrivé à M. Renan, et il n’en est ni surpris, ni fâché, n’ayant jamais eu de prétention au rôle d’apôtre. Certes on ne peut nier que, depuis l’apparition de la Vie de Jésus, la guerre ne soit devenue beaucoup plus vive contre le christianisme ; mais ceux qui l’attaquent ne peuvent pas passer pour s’être nourris des doctrines de M. Renan. Les maximes qu’ils professent sont tout à fait contraires aux siennes, et il a condamné d’avance leurs façons d’agir. C’est au nom des intérêts matériels, pour lesquels M. Renan a toujours témoigné un profond mépris, qu’ils mènent la lutte. Ils