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s’appellent le Hanovre, la Toscane ou la Virginie. Mais ce qui a fait le malheur de la cause du Sud, c’est que la première application que les états confédérés entendaient faire de l’autonomie qu’ils revendiquaient, c’était précisément le maintien de l’esclavage, tandis que la tendance du Nord était, au contraire, d’ériger, au moins dans l’avenir, la liberté des hommes de couleur en un principe constitutionnel qui devrait être respecté dans toute l’étendue de l’Union. C’est là ce qui les a perdus en réduisant à une neutralité bienveillante certains gouvernemens européens dont l’intérêt politique aurait été peut-être de pousser à une division de la grande république. Mais prendre ouvertement parti pour l’esclavage leur était impossible ; dans aucun pays chrétien l’opinion publique ne l’eût souffert, et le Sud a porté ainsi la juste peine d’une déplorable solidarité.

Néanmoins cette question, après tout assez théorique, des droits des états ne suffirait peut-être pas à elle seule pour expliquer l’acharnement de la lutte, s’il ne s’y mêlait aussi, comme je viens de le dire, une antipathie de races. Il y a longtemps que les gentlemen du Sud détestaient et méprisaient ces Yankees, ardens au travail, âpres au gain, toujours dans leurs bureaux ou dans leurs usines. Leurs mœurs à eux étaient toutes différentes. Accoutumés à faire travailler pour leur compte et à ne pas trop s’occuper de leurs affaires, ils vivaient généralement sur leurs plantations, sauf quelques mois passés à la ville ou dans les assemblées, d’une vie passablement oisive et relativement aristocratique, assez semblable à celle de ces squires anglais du siècle dernier dépeints par Fielding dans Tom Jones, ou par Walter Scott dans Bob Roy. A vrai dire, cette existence n’était pas et n’est pas encore aujourd’hui aussi élégante et aussi raffinée que quelques personnes se le figurent en France, et quand on dit qu’il n’y a de bonne compagnie en Amérique que dans les états du Sud, c’est à peu près comme si on disait qu’il n’y a de bonne compagnie en France que dans le Poitou ou dans la Vendée, ce qui serait peut-être un peu exclusif. Bons cavaliers, grands chasseurs, ils étaient grands buveurs aussi (à vrai dire, en Amérique on boit un peu partout) et par-dessus le marché prodigieusement étrangers à tout mouvement intellectuel. Mais quand ils ont conçu la crainte que ces Yankees n’intervinssent dans le gouvernement de leurs états en limitant leur autocratie, quand ils ont entrevu surtout la possibilité qu’on fît de ces nègres méprisés et avilis des hommes comme eux, ils se sont levés tous ensemble, et, de même que les gentilshommes du Poitou et de la Vendée sont devenus, pendant la guerre de 1870, d’admirables officiers de mobiles ou se sont fait tuer héroïquement comme simples soldats sous la bannière du général de Charette, de même les gentlemen du Sud ont fourni comme officiers ou comme soldats le