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commence à inspirer aux gentlemen du Sud un orgueil à peu près semblable, et lorsqu’ils promènent cette qualité de par le monde, on ne leur demande pas s’ils comptent parmi les vainqueurs ou les vaincus de l’ancienne guerre. Ils ont donc échappé à ce sentiment de l’humiliation qui aigrit le souvenir de la défaite, et ce sont assurément les premiers vaincus auxquels ait fini par profiter la gloire de leurs vainqueurs. Nous avons vu (je puis le dire sous nos yeux) un exemple de cette transformation si explicable des sentimens. Parmi nos compagnons militaires, nous comptions un très galant officier, originaire de la Virginie, qui, après avoir servi dans les armées du Sud, avait de désespoir quitté son pays et s’était enrôlé en Algérie dans la légion étrangère. Il y avait quinze ans qu’il avait quitté l’Amérique et il y apportait toutes les ardeurs, tous les préjugés d’un émigré. Puis nous l’avons vu peu à peu subir l’influence de ce sentiment de patriotisme général dont je viens de parler, et tout fier des merveilleux développemens qu’il constatait dans son pays, au bout d’un mois, on n’aurait pu distinguer s’il appartenait au Nord ou au Sud. Lui-même, j’en suis convaincu, ne s’en souvenait plus. Mais je puis donner des preuves un peu plus générales des progrès de la réconciliation entre les deux fractions autrefois ennemies. Pendant que nous étions à Richmond, le bruit se répandit avec quelque vraisemblance que le secrétaire du département d’état, M. Blaine, qui avait depuis quelque temps déjà remis sa démission entre les mains du président de la république, allait être définitivement remplacé, et parmi les successeurs qu’on lui donnait on citait le nom du général Longstreet. Or le général Longstreet a exercé un commandement important pendant la guerre de sécession dans l’armée du Sud. Le plus ou moins de probabilité de sa nomination n’en a pas moins été discuté pendant plusieurs jours sans que l’opinion publique parût s’en émouvoir dans le Nord et sans que dans le Sud personne lui adressât le moindre reproche de défection. Mais un exemple plus frappant encore est celui-ci. J’ai déjà parlé de cette exposition des produits de l’industrie cotonnière ouverte dans cette ville d’Atlanta que les soldats de Sherman ont prise de vive force en 1864. Le général Sherman n’en est pas moins venu en personne visiter cette exposition. Et non-seulement il a pu circuler librement dans la ville sans recueillir aucun témoignage hostile, mais il a été reçu officiellement à l’exposition, il y a prononcé un discours et dans ce discours il a pu dire : « Nous avons combattu autrefois pour l’idée de patrie comme chacun de nous la comprenait dans sa conscience, mais tous ces souvenirs doivent être oubliés aujourd’hui, et, pour moi, je puis le dire avec vérité, je ne me sens pas attaché par des liens moins étroits à cet état de Géorgie qu’à mon état natal de l’Ohio. » Non-seulement ces paroles n’ont soulevé aucune protestation