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fois plus commode de croire que de douter, mais ils savent aussi qu’on ne croit pas quand on veut. Si la vue des incertitudes dans lesquelles on s’engage quand on perd la foi peut la raffermir chez ceux qui la possèdent, elle ne suffit pas à la rendre à ceux qui l’ont perdue. Il est donc probable que toute l’éloquence de l’apologiste viendra échouer contre leur obstination et qu’il faut se résigner à l’existence de deux partis qui paraissent moins que jamais disposés à s’accorder ou à se fondre. Puisqu’on ne peut ni supprimer aucun d’eux ni les réunir ensemble, il faut bien qu’ils s’accoutument à se supporter mutuellement et à vivre l’un près de l’autre. — M. Renan est de ceux qui pensent que, pour maintenir la paix entre eux, il n’y a pas de meilleur moyen que la liberté.

C’est une solution qui parait d’abord très simple, et l’on est tenté de croire que personne ne refusera de l’accepter, tant le mot de liberté est dans toutes les bouches, mais on ne tarde pas à s’apercevoir que, si tout le monde la réclame pour soi, on n’est pas toujours disposé à l’accorder aux autres. Nos fréquentes révolutions nous ont donné lieu d’observer qu’on oublie vite, lorsqu’on devient victorieux, les théories libérales qu’on professe quand on est vaincu. Ce sont les catholiques qui se plaignent en ce moment et qui font appel à la liberté. Il n’y a, je crois, rien à répondre à leurs réclamations et les principes dont ils s’appuient sont justes. Mais il faut qu’ils se souviennent bien que, puisqu’ils invoquent les bénéfices d’un régime libéral, ils doivent en supporter des charges. Ils demandent pour eux la liberté de croire : rien de plus légitime ; en revanche, ils doivent accorder pleinement aux autres la liberté de nier. C’est ce qu’ils n’ont pas été toujours disposés à faire. Pour ne pas sortir du sujet que je traite, je n’en citerai d’autre exemple que les violences mêmes qui accueillirent la Vie de Jésus. Elles étaient tout à fait sans excuses ; aux yeux d’un homme impartial, M. Renan avait autant de droits à contester la divinité du Christ que ses adversaires à la défendre. C’était un combat à régler par la plume, une libre controverse où il fallait apporter des raisons et non des injures. Ce fut surtout avec des injures qu’on se battit. Ce qu’il importe de remarquer, c’est que les plus irrités n’étaient pas les plus convaincus. Des gens qui ont passé leur vie dans l’étude de ces graves problèmes en aperçoivent toutes les difficultés et ne sont pas surpris que sur des questions aussi obscures on puisse penser autrement qu’eux. Au contraire, ceux qui, n’ayant pas réfléchi par eux-mêmes croient sur parole, qui trouvent commode d’avoir une opinion toute faite sans s’être donné la peine de la faire, ont toujours peur qu’on les dérange dans leur repos, en leur inspirant quelque doute, et qu’on ne les force à y regarder. C’est