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300 francs par tête, l’industrie manufacturière, occupant au plus trois millions de personnes, produit 15 milliards, près du double, soit 5,000 francs par tête au lieu de 300.

Il y a là un état de choses défectueux, une disposition fâcheuse contre lesquels il est temps de réagir plutôt que de vouloir nous en dissimuler la gravité. Du moment où une population de plus de 20 millions d’âmes, exclusivement affectée à la production agricole, ne peut assurer notre existence animale à aussi bas prix que le fait en Amérique une population certainement deux ou trois fois moins considérable, qui, en même temps qu’elle suffit aux besoins d’un peuple déjà plus nombreux, inonde encore nos marchés de l’excédent de ses produits, il est évident qu’une telle agriculture est dans une voie mauvaise, qu’il est plus nécessaire de la réformer que de la protéger.

Le but de cette réforme est facile à définir : il faut produire beaucoup plus et avec moins de bras, il ne suffit pas d’augmenter le rendement, il faut encore que la main-d’œuvre agricole soit mieux rémunérée, et c’est ce qui n’est pas possible chez nous en l’état actuel des choses.

La proportion de la population occupée aux travaux des champs varie beaucoup suivant l’état social des peuples. Dans nos vieilles civilisations qui, à leur début, n’avaient d’autre luxe que la satisfaction, insuffisante pour le plus grand nombre, des exigences de la vie animale, cette proportion était très considérable. Tous les bras valides étaient occupés à la culture, l’unique industrie du moment. A mesure que la civilisation se développe, d’autre besoins se créent, d’autres industries s’établissent, réclamant une main-d’œuvre qui peu à peu est enlevée à la population rurale. Cette transformation s’opère chez nous lentement, bien que beaucoup trop vite, au dire de certains économistes qui déplorent la dépopulation des campagnes, faute d’avoir compris que c’est une des nécessités de notre époque. Dans les sociétés nouvelles qui s’organisent de toutes pièces sur un sol vierge, la répartition s’établit d’elle-même sur des bases beaucoup plus rationnelles. La population des villes ne dépasse pas en France le tiers de la population totale. Elle est de plus des deux tiers en Amérique et en Australie, et c’est vers cette proportion que nous devons tendre; je dirai plus, au-dessous de laquelle nous devrions descendre si nous ne voulons nous trouver en retard sur nos rivaux. Les jeunes peuples ayant proportionnellement plus de bonnes terres à leur disposition, l’exploitation agricole leur est indiquée comme l’industrie d’exportation la plus naturelle. Leur population rurale devrait être proportionnellement plus grande. C’est précisément l’inverse qui a lieu, et des deux parts l’équilibre normal doit tendre à s’établir.