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tourner à sa ruine un traité de paix qui a été conclu précisément pour lui rendre la vie. Il avait tort de demander à son profit un privilège qui le fît mieux traiter que les autres ; on a bien plus tort encore de créer un privilège contre lui qui le met dans une situation plus mauvaise. Si les opinions religieuses sont libres, l’état doit être impartial entre elles ; il ne convient pas, de lui faire prendre parti dans un combat où il doit rester neutre et de s’armer de son autorité contre un culte que pratique la plus grande partie du pays. Je ne parle pas des ennuis et des tracas dont on se plaît à le harceler sans fin : on ne meurt pas de ces piqûres, mais elles soulèvent souvent plus de colères et de haines que des attaques plus sérieuses. On nous dit, je le sais bien, que toutes ces colères ne peuvent pas avoir de grandes conséquences et qu’on peut se permettre sans danger d’attaquer une religion qui n’a plus que quelques années à vivre. Ceux qui parlent ainsi font bien voir que leur ignorance égale leur présomption. S’ils connaissaient l’histoire, ils sauraient que les religions, même celles qui sont arrivées au dernier degré de la décadence, mettent des siècles à mourir. Les états sont bien plus fragiles, et quand ils se heurtent imprudemment contre elles, ce sont eux souvent qui meurent les premiers. Au lieu de travailler avec tant d’ardeur à faire périr le christianisme, nos politiques devraient être plus soucieux de faire vivre la France. Ils compliquent et aggravent la crise terrible qu’elle traverse. Dans un pays si misérablement divisé, il sèment comme à plaisir des causes nouvelles de haine et le rendent de moins en moins capable de cet effort commun qui peut le sauver.

Ces réflexions ne nous éloignent pas autant qu’il le semble de l’Histoire des origines du christianisme ; c’est au contraire l’ouvrage même de M. Renan qui me les a suggérées. On prend en le lisant la haine des interventions violentes de l’état dans les choses religieuses ; on y prend aussi l’assurance que toutes ces brutalités sont impuissantes, que la force, qui mène le monde, ne s’impose pas aux consciences, et que c’est la sagesse et le bon droit qui finissent à la longue par triompher.


GASTON BOISSIER.