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M. Claretie, d’ailleurs intéressant, le Troisième Dessous, le récit de la mort d’un grand acteur, et ce grand acteur, au moment suprême, est peint rassemblant ses forces défaillantes pour donner à son fils, acteur aussi, une leçon sur Arnolphe; et il lui apprend à le jouer au tragique, à quoi la circonstance l’aide beaucoup. Il meurt ensuite, extrêmement satisfait. Je n’en dirais pas autant de Molière.

Cet acteur-là n’est pas Talma, voilà ce qui me console; car on proposa à Talma de prendre le rôle ; il l’étudia et le rendit, disant que dans cette fameuse scène du cinquième acte, quand même on pourrait tourner le reste au tragique, il y aurait toujours une indication qui l’empêcherait, lui, de comprendre ainsi Arnolphe; c’était le vers :


Veux-tu que je m’arrache un côté de cheveux ?


Et il avait raison. Ce vers est un trait de génie comique. Je vous défie de le prendre sur le ton noble. Vous pouvez dire en drame :


... A mon amour rien ne peut s’égaler,
Quelle preuve veux-tu que je t’en donne, ingrate?
Me veux-tu voir pleurer? Veux-tu que je me batte?..
Veux-tu que je me tue? Oui, dis si tu le veux,
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme!


Mais si dans ces vers vous introduisez :


Veux-tu que je m’arrache un côté de cheveux?


il faut que vous changiez le ton si vous voulez rester d’accord; parce que vous jetez dans le couplet la note comique, irrésistiblement comique; parce qu’un amoureux véritablement éperdu et, par conséquent, touchant, ne proposera pas de s’arracher un côté de cheveux, laissant à entendre qu’il désire garder l’autre pour une autre occasion ; parce qu’en un mot le paroxysme de la passion, qui offre toujours deux faces, la face ridicule et la face sublime, vous dévoile ici, de par la volonté de Molière, la face ridicule, et ainsi vous serez forcé de dire au comique :


... A mon amour, rien ne peut s’égaler,
Quelle preuve veux-tu que je t’en donne, ingrate?
Me veux-tu voir pleurer? Veux-tu que je me batte?
Veux-tu que je m’arrache un côté de cheveux !
Veux-tu que je me tue? Oui, dis si tu le veux,
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme !


Il fallait entendre dire cela par Samson! Je l’ai entendu, dans un cours, en chaire, c’est-à-dire sans costume, sans geste, avec la tête