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qui ne veut pas dans sa comédie de personnages répulsifs, parce que le sentiment qu’ils inspirent est pénible et qu’il veut nous faire rire, Molière, qui, même de l’effrayant Tartufe, a su faire un personnage comique, Molière donc a dissimulé habilement tout cet odieux du rôle d’Arnolphe en en faisant avant tout un ridicule. Il l’a peint tout bouffi de vanité, se débaptisant, après la quarantaine, pour se faire appeler Monsieur de la Souche ; il lui a donné des prétentions au bel air, et quelque esprit, dont il use comme un sot, car cela se volt. Notre homme a donc en soi et en son système une confiance imperturbable ; et comment ne rirait-on pas de lui quand, au début de la pièce, on l’entend avec toutes sortes d’airs de supériorité, d’ironies et de rires gras, déclarer qu’il est sûr de son affaire, qu’il a une rubrique infaillible, que ce n’est pas à lui qu’on en conte et qu’il a tout expérimenté, et qu’on le voit, à la fin, battu par une innocente, lui, le malin, l’homme qui sait, comme on dit aujourd’hui, s’éloigner,


Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris !


V.

Qui donc s’attendrirait à voir Arnolphe pris à son propre piège ?

Songez-y, si vous le plaigniez, il vous faudrait accuser Agnès, cette âme exquise. Ah ! ce serait pis qu’à la tragédie, où l’on pleurait sur ce pauvre Holopherne, si méchamment mis à mort par Judith ! — Car Agnès a mille raisons que n’avait pas Judith. Est-ce que vous, en voulez à Agnès ? Avez-vous ce courage ? Je vous en prie, laissez-la venir à vous, comme les petits enfans, avec cette candeur qu’elle tient bien plus de la droiture de sa jeunesse que de son ignorance, avec cet air engageant et ce je ne sais quoi de tendre que lui donne la bonté de son cœur. Vraiment, Shakspeare a dit de la femme : perfide comme l’onde, je dirais d’Agnès : claire comme l’eau de la source ! Dans la transparence de sa naïveté vous voyez toutes les qualités aimables de nos filles ; elle est compatissante, elle est civile ; elle est enfin docile, ordonnée, travailleuse ; avec cela, une petite pointe de coquetterie ; c’est sa grosse passion : elle aime à être brave et leste ; ce sera bien la plus délicieuse petite bourgeoise ! Et elle ne ment jamais ; non, elle est sincère comme la nature. C’est pourquoi elle est si tranquille. Elle a eu foi dans Arnolphe : « J’ai fait ce que vous m’avez dit, » lui dit-elle, et c’est vrai. Elle ne lui cache rien de sa rencontre avec Horace. Pauvre jeune homme ! il était si intéressant ! Elle raconte tout : le plaisir qu’elle avait de ses complimens et de ses caresses ; elle en est ravie comme d’une découverte, persuadée, d’ailleurs, qu’une chose si