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Voilà une cruelle disproportion ! et la démonstration est irréfutable! De tous les chiffres que nous avons donnés jusqu’ici, il n’en est pas, à mon sens, qui soit plus concluant. Chaque ménage français est une famille peu nombreuse : chaque ménage allemand ou anglais est une famille nombreuse. C’est un fait que l’observation des mœurs de chaque jour peut confirmer. Chez nous, les familles de cinq enfans paraissent déjà exagérées, alors que dans les pays voisins c’est la règle. Quant aux familles qui comptent huit à dix enfans, il est d’usage à présent de les considérer comme extraordinaires, tandis qu’au siècle passé, comme de nos jours encore en Angleterre, ce nombre n’était pas singulier. Si chacun de nous fait appel à ses souvenirs, il trouvera assurément qu’il y a eu dans ses ascendans des familles de dix, quinze, et même vingt enfans.

D’ailleurs, les chiffres de la statistique sont formels. Les familles françaises sont maintenant très peu nombreuses. Si le croît de la France est si lent, c’est uniquement parce que les enfans issus de chaque mariage sont en petit nombre. Voilà la cause, et la cause unique du mal. Voilà le mal lui-même; et c’est à le combattre qu’il faut appliquer tous nos efforts.

Nous disions, au début de cet article, que notre but était surtout de prouver un fait ; il me semble que le fait est à présent absolument établi.


Faisons maintenant une hypothèse bien invraisemblable. Supposons que pendant cinquante ans l’Europe ne sera déchirée par aucune guerre, et admettons que les frontières des divers états seront en février 1932, ce qu’elles sont en février 1882. Supposons aussi que, durant cette période, l’accroissement annuel de chaque nation restera, par rapport au nombre d’hommes qui la composent, identique, pendant les cinquante années qui vont suivre, à ce qu’il a été pendant dix ans, par suite, soit des émigrations, soit de l’excédent des naissances sur les décès.

Je ne crains pas de dire que tout Français aimant son pays a le devoir de songer, non pas seulement à la France d’aujourd’hui, mais à la France de demain. Par conséquent, il doit se demander quel sera, dans un avenir rapproché, l’état de sa patrie dans le monde.

Actuellement, en 1882, voici quels sont les millions d’hommes qui constituent chaque nation :


Russie 90 millions.
États-Unis 52 »
Empire d’Allemagne. 46 »
Autriche-Hongrie 38 »
France 37 »
Grande-Bretagne 36 »
Italie 29 »