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naires, partisans de la république fédérale. Cette fois ouvriers et patrons se sont trouvés alliés dans le mouvement de résistance ; les uns et les autres ont envoyé des délégués à Madrid pour plaider leur cause auprès du gouvernement, auprès des membres du parlement. Les Catalans se plaignent sans doute des impôts, comme leurs compatriotes des autres provinces ; ils se plaignent peut-être plus passionnément encore du traité franco-espagnol et des projets de réductions de tarifs, qu’ils considèrent comme un coup mortel pour l’industrie de la Catalogne, accoutumée jusqu’ici à avoir le monopole du commerce avec les colonies. Les Catalans se trompent, ils sont les dupes des habitudes protectionnistes à l’abri desquelles leur province a depuis longtemps vécu ; mais ce sentiment, justifié ou non, n’a pas moins suffi pour provoquer une agitation qui a pu être un péril, qui a causé une vive impression à Madrid, au moment où l’on discutait dans le parlement les projets de M. Camacho et où l’on se préparait à discuter le traité de commerce avec la France.

Que pouvait faire le gouvernement ? Il est certain que le ministre des finances a été l’objet de violentes attaques, qu’il a pu paraître un instant ébranlé ou peu soutenu, et il est également certain que, si le cabinet avait sacrifié M. Camacho, il serait tombé immédiatement tout entier. Le président du conseil, M. Sagasta, a vigoureusement tenu tête à l’orage, et, loin d’abandonner son collègue, il a pris hardiment pour le cabinet la responsabilité du programme du ministre des finances ; il a même exposé ce programme avec un certain éclat d’éloquence, avec une singulière hauteur de vues politiques. M. Sagasta avait pour lui l’instinct universel d’ordre, qui n’a pas tardé à s’effrayer des menaces de sédition, et les libéraux plus avancés qui ont craint, en attaquant le ministère, de préparer le retour des conservateurs au pouvoir. Il a aussi en sa faveur une partie de l’Espagne qui ne voit pas du même œil que la Catalogne le traité de commerce avec la France, qui est au contraire intéressée à ce traité. C’est la force du gouvernement dans ces confusions nouvelles. Le ministère réussira-t-il à surmonter jusqu’au bout les difficultés qui l’entourent ? La crise reste assurément toujours assez grave ; elle peut prêter à une guerre dangereuse contre les ministres. Il est cependant douteux que le cabinet soit sérieusement menacé avant qu’on en ait fini avec une agitation qui est restée jusqu’ici assez pacifique, qui s’est arrêtée devant la fermeté du gouvernement, mais qui pourrait prendre un autre caractère plus dangereux pour l’Espagne.

Ch. de Mazade.