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devise : Nulla sine mœrore voluptas. La présence de ces fleurs jusque dans ce réduit consacré au négoce, et le rappel de cette pensée mélancolique, en rapport d’ailleurs avec l’expression de ce visage intelligent et maladif, viennent ingénieusement compléter une individualité morale et la rendent particulièrement attachante. Intéressant par cette étude de la vie intime, le tableau, à distance, est d’une tenue superbe, et le ton vert du fond, — un beau vert, plein, égal et de valeur moyenne, — accompagne de la manière la plus heureuse les colorations du pourpoint et des chairs, dont il fait admirablement ressortir l’éclat et la fraîcheur. Tout cela produit un ensemble inoubliable, où l’on sent à la fois la pensée et la main d’un maître, et si l’on veut apprécier exactement la supériorité d’Holbein, il suffit de le comparer avec ceux des artistes ses contemporains, dont pourtant l’habileté était grande ; avec Bruyn, le peintre de Cologne, par exemple, ou avec Amberger, dont le Portrait du cosmographe S. Munster est un des meilleurs ouvrages. Entre ce portrait, si excellent qu’il soit, et celui de George Gyze, il y a toute la distance qui sépare le talent du génie.

Après Holbein et l’école de Dürer, l’art allemand a fini de vivre. A peine peut-on trouver çà et là, en suivant le cours des temps, quelques noms d’artistes qui, nés en Allemagne, vont à l’étranger pour y chercher des enseignemens ou pour y vivre. Rottenhammer, bien que compatriote d’Holbein, pourrait être classé parmi les Vénitiens, et Elsheimer, né à Francfort, se fixe à Rome, où ses compositions et ses petits paysages jouissent de la faveur publique et exercent une vive influence sur Lastman d’abord, puis sur Rembrandt lui-même à ses débuts. Peu à peu cet art bien affaibli s’appauvrit encore. C’est à l’extrême pénurie où l’on était réduit alors que Mengs a dû d’être considéré comme un grand peintre, non-seulement à Dresde, mais jusque dans la patrie de Raphaël et dans celle de Velasquez. Angélica Kaufftnann, qui n’a guère été moins célèbre, nous montre la molle fadeur de son pinceau dans cette tête d’expression où elle s’est représentée elle-même en bacchante, décolletée, les cheveux au vent, pour le plus grand bonheur des copistes de profession. Enfin avec ses deux tableaux du Colin-Maillard et du Jeu du coq, froids et lourds pastiches de Watteau, Chodowiecki a tenu à nous prouver que les plus habiles graveurs peuvent être de très mauvais peintres.


III

Si les maîtres allemands, Holbein excepté, ne sont représentés que d’une manière fort insuffisante au Musée de Berlin, on y trouve en revanche un ouvrage capital de l’ancienne école des Flandres.