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esquisses, les unes très sommaires et enlevées en quelques traits, comme la Prise de Tunis ; les autres poussées jusqu’à cet état de demi-achèvement auquel, avec un tel maître, on ne voit pas ce qu’on pourrait ajouter. Tels sont, par exemple, le Christ mort, un petit tableau très pathétique et d’un sentiment tout moderne, et surtout le Persée et Andromède, une merveille où l’on retrouve Rubens tout entier avec ses meilleures qualités. Ce n’est pas que les deux personnages principaux soient des modèles de beauté et de noblesse académique. Épaisse et rebondie, la jeune fille semble un peu trop faite pour tenter la férocité du monstre auquel elle vient d’échapper, et son libérateur, empanaché comme un héros de théâtre, n’offre pas non plus un type d’une bien haute distinction. Quant à la robuste monture de Persée, elle paraît plutôt taillée pour traîner les camions des brasseurs d’Anvers que pour voler dans les airs. Tout cela saute aux yeux, et pourtant on y songe à peine, ce qui manque sous le rapport du style étant ici compensé et bien au-delà, par la vie, le mouvement, l’à-propos, par les mille détails ingénieux et piquans de la composition elle-même. Quelle charmante invention, entre autres, que ces petits Amours qui s’empressent autour du jeune couple, l’un se dressant sur ses pieds pour arriver à dénouer les liens qui retiennent Andromède, l’autre prenant par la bride le cheval qui hennit d’aise, les deux autres enfin, comme des gamins espiègles, s’aidant à escalader le paisible coursier pour s’installer sur sa large croupe ! Et que dire de l’exécution ? Comment donner idée de l’harmonie joyeuse et du doux éclat de ce chef-d’œuvre ? Quel bouquet de gaîtés et quels heureux voisinages de couleurs présentent ces petits corps fermes et souples, avec leurs têtes blondes, leurs chairs roses, piquées, au bon endroit, d’un luisant qui en avive la fraîcheur, ce cheval gris avec ses grandes ailes d’un blanc nacré, ce ciel d’un bleu amorti et cette mer glauque, dont l’écume rejaillit en éclats blanchâtres ! Et comme partout la facture est animée, plaisante à voir, éclose spontanément en quelque sorte ! Comme tout cela enfin respire la facilité et le bonheur de vivre et de s’épanouir sous vos yeux !

Le plus célèbre des élèves de Rubens, Van Dyck, compte à Berlin plusieurs ouvrages de grande dimension et dans lesquels on le voit peu à peu se dégager de l’influence de son maître. Ce sont comme autant d’étapes successives dans la carrière de peintre d’histoire. Le Christ mort est une magnifique composition qui probablement a suivi de peu son retour d’Italie. On n’y trouve plus guère trace, en effet, de ses origines flamandes, et, avec quelque chose du goût d’André del Sarto pour le choix des formes et la distinction du dessin, on reconnaît aussi dans le coloris une préoccupation positive des Vénitiens. Le Saint Jean est même une réminiscence formelle de