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forêt où Hobbéma, sans doute en souvenir des beautés qu’il y avait goûtées lui-même, a placé un peintre occupé à dessiner. Le lieu a du charme et le regard aime à s’enfoncer sous ces ombrages, mais l’exécution montre les lourdeurs que trop souvent on rencontre chez Hobbéma. C’est un maître inégal, et non-seulement vous ne sauriez trouver à travers tous les musées de l’Allemagne une œuvre qui approche de notre Moulin à eau, mais parfois il y mettrait votre sympathie à d’assez fortes épreuves.

Vous n’avez pas à craindre pareils mécomptes avec Ruysdael. Après l’avoir si souvent rencontré, ne pensez jamais qu’il n’ait plus rien à vous apprendre. Des onze toiles qu’il a au musée de Berlin, quelques-unes doivent être comptées au nombre de ses meilleures inspirations et parmi elles deux vues des environs de Harlem : les Dunes près d’Overveen. Cette campagne de Harlem était faite pour plaire à Ruysdael. Le bois séculaire qui touche aux portes de la ville, la longue chaîne des dunes qui le bordent et la plage à laquelle elles aboutissent présentent au paysagiste une succession de ressources pittoresques dont peu de contrées offrent l’équivalent. C’est au milieu de cette nature simple et abandonnée à elle-même qu’avait grandi le peintre, et à toutes ses beautés elle joignait pour lui le charme du pays natal. De bonne heure il en avait compris la poésie et il devait jusqu’au bout lui rester fidèle. Comme pour ces êtres chers dont on aime à multiplier les images sans se lasser jamais, il en copiait tous les recoins.

Deux marines du maître sont peut-être supérieures encore à ces paysages de Dunes, avec lesquels elles présentent d’ailleurs un contraste frappant. La plus importante de ces marines et aussi la plus pathétique, est un des chefs-d’œuvre de Ruysdael et rappelle l’impression de notre Tempête du Louvre. De gros nuages qui s’élèvent du bas de l’horizon, amoncelés en masses compactes, envahissent lourdement le ciel. Sur la mer l’agitation est plus grande encore. Un grain se prépare et déjà les vagues soulevées se dressent, se heurtent, se tordent en spirales limoneuses ou jaillissent en écumes blanchâtres. Entre cette double menace de la mer et du ciel, quelques barques courbées sous le vent essaient de regagner le port d’Amsterdam, qu’on aperçoit dans le lointain, et l’une d’elles, plus violemment secouée, assaillie par un paquet de lames, penche sur le flot sa voile goudronnée. Le ton roussâtre de cette voile s’oppose harmonieusement à une tache d’azur qui persiste encore au ciel, mais qui va bientôt disparaître. Ce sont là les seules colorations du tableau : autour tout est morne, sombre ou livide, et la mince traînée de lumière blafarde qui raie l’horizon ajoute encore à la tristesse sinistre de l’aspect général. Telle est cette composition, plus éloquente dans sa simplicité que les tempêtes et les fracas