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convient à sa beauté. On avait alors les larmes faciles et, pour le naturel, les sentimentalités de Greuze peuvent aller de pair avec les bergeries de Lancret.

Mêlées à ces frivoles images et dans les salles mêmes où elles sont exposées, il est piquant de rencontrer, — ils sont en petit nombre — quelques ouvrages des maîtres espagnols. Voilà des gens qui ne plaisantent pas et dont la peinture ne se déride guère. Avec Zurbaran surtout le contraste est profond, et son Miracle du crucifix est le digne pendant de deux autres compositions que nous possédons au Louvre et qui ont également trait à des épisodes de la vie de saint Pierre Nolasque. Même force dans le dessin, même sévérité d’aspect, même puissance d’expression. A voir les visages énergiques de ces moines, leurs yeux pleins de feu, leur pâleur que fait encore ressortir la couleur foncée de leurs robes de bure, on a comme la révélation d’un monde étrange et qui semble en dehors de l’humanité. Mieux qu’aucun de ses compatriotes, Zurbaran a su rendre la sombre exaltation de ces vies dépensées entre les quatre murs d’une cellule et consumées par les ardeurs d’une pensée toujours attachée au même objet. Lui-même, dit-on, se sentait attiré vers le cloître et on assure, sans que le fait soit bien prouvé, qu’il y était entré quand il peignit cette série de compositions. Dans son art, du moins, il avait fait vœu d’abstinence et de pauvreté et il imposait à sa palette d’impitoyables mortifications. Mais ce qu’il refuse à la matière, Zurbaran le donne à l’esprit, il connaît d’ailleurs à fond son métier ; c’est un dessinateur irréprochable qui sait construire un tableau, mettre dans un geste toute la signification qu’il comporte, faire éclater sur un visage l’éloquence de sentimens qui dominent l’être tout entier, et sans se laisser jamais distraire de son but, il subordonne tout son travail à la claire expression de sa pensée.

A côté d’une Sainte Agnès d’Alonzo Cano, figure habilement peinte, mais dont le type manque un peu d’élévation, nous ne pouvons citer de Velasquez que des œuvres assez médiocres ou plutôt suspectes, car une seule, le Portrait du général del Borro, nous paraît mériter cette attribution. Encore ce personnage, vêtu de noir et campé dans une fière attitude, est-il d’une tournure presque grotesque avec sa corpulence énorme, son triple menton et ses joues bouffies à ne plus lui voir les yeux ; il eût été difficile, en vérité, de faire un chef-d’œuvre avec un semblable modèle. Le Saint Antoine de Padoue est, en revanche, une des toiles les plus remarquables de Murillo. Au milieu d’un essaim d’anges répandus dans le ciel entr’ouvert, saint Antoine, agenouillé et tenant dans ses bras l’Enfant Jésus, approche avec amour ses lèvres de la joue de l’enfant. Celui-ci, heureux de l’affection que lui témoigne le saint, répond à