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harmonieuse. L’impression assez inattendue de solennité et de tristesse qui se dégage de toute la. scène frappe par son étrangeté, et il y a comme une lassitude de la vie dans cette image qui semblait, au contraire, devoir nous en promettre toutes les ardeurs et les exubérances. La physionomie rêveuse du dieu, la langueur de cette nymphe qui mollement approche de ses lèvres sa longue flûte, le satyre qui la contemple, le vieux berger qui gravement marque la mesure, la lenteur de ces mouvemens, le recueillement de ces personnages, tout ici respire une mélancolie profonde, et la mélopée plaintive et grêle qui s’échappe de ces instrumens primitifs est comme le dernier chant d’un monde qui va finir.

En vérité, quand on compare Signorelli à ses contemporains les plus illustres, il faut bien lui reconnaître une intelligence plus ouverte, plus haute que celle de Pérugin, un talent plus fort et plus souple, des inventions plus variées ; il faut confesser encore qu’avec une puissance au moins égale, il n’a ni les sécheresses ni les étrangetés de Mantegna, avec lequel il montre d’ailleurs plus d’une analogie, et si on tient absolument à lui assigner une place, il convient d’aller jusqu’aux plus grands pour lui trouver une compagnie à sa taille, car il est de leur race et il montre déjà quelque chose de La fécondité et de la grandeur de leur génie.

Un des compagnons de Signorelli. à l’atelier de Piero della Francesca, Melozzo da Forli, nous apporte un nouveau témoignage du degré de culture auquel étaient alors parvenues les plus petites villes du centre de l’Italie. Dans une composition allégorique, appartenant à une série de peintures de ce maître qui décoraient autrefois le palais d’Urbin, il a représenté le duc Frédéric à genoux et recevant respectueusement le dépôt de la science humaine qu’une femme richement parée confie à. sa garde. Les ouvrages de Melozzo, ceux de Piero délia Francesca et d’autres artistes italiens et même flamands, réunis dans la demeure des princes de cette petite cour d’Urbin, si brillante à cette époque, exercèrent sans doute sur le développement de Raphaël une influence plus féconde que les œuvres de son père. Giovanni Santi est, en effet, un peintre plus que médiocre, et les deux tableaux de lui que possède le musée de Berlin suffiraient pour nous eu convaincre. Ses, figures de saints ou de saintes sont d’une vulgarité ou même d’une laideur accomplie et leur exécution. dénote une gaucherie tout à fait rustique. Mais l’honnête Santi ne se faisait pas illusion sur son talent. Loin de se montrer jaloux des artistes plus en renom que les ducs avaient successivement attirés auprès d’eux, il s’était toujours empressé à leur prodiguer ses bons offices. Dans la chronique rimée on il a consigné sur l’art de son temps des indications que leur sincérité nous rend précieuses, il n’a pour ses confrères que des paroles de déférence ou d’admiration.