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nu, pendant qu’elle va elle-même transformer les lacs en marais pestilentiels. La terre devient ainsi de moins en moins productive, de moins en moins habitable. Comme la présence des forêts avait eu pour effet de préparer le séjour de l’homme sur le globe, leur disparition a pour résultat de l’en chasser.

Un coup d’œil jeté sur les différentes parties du monde confirme absolument les déductions théoriques qui précèdent.

Tous les lieux habités ont été autrefois couverts de bois, et partout on en retrouve des traces. Le passage de la vie sauvage à la vie civilisée n’a pu se faire que par le défrichement d’une partie d’entre eux ; mais sur un grand nombre de points, les défrichemens ont dépassé la mesure. Dans les régions froides ou tempérées, comme le nord de l’Europe, le Canada, les états de l’Est de l’Amérique septentrionale, ils ont diminué la rigueur du climat, qui est devenu plus sec, plus chaud et plus salubre ; ils ont augmenté l’étendue des terres arables et procuré à l’homme de meilleures conditions d’existence ; mais il n’en a pas été de même dans le sud de l’Europe, en Afrique et en Asie.

La Grèce et l’Asie-Mineure ne répondent plus aux descriptions qu’en faisaient les anciens. Les sources, les ruisseaux, les cascades ont cessé leurs murmures ; les plaines, jadis couvertes de moissons, sont des déserts, et les coteaux ombragés de vignes et d’oliviers ne montrent plus que le rocher nu. Le despotisme turc a couvert de ruines cette région où coulaient le miel et le lait. En Palestine, le déboisement date de plus loin et a dû se produire même avant la conquête des Juifs, car, tandis que l’Ancien-Testament fait souvent mention de chênes, de pins et de cèdres, le Nouveau ne fait allusion aux bois que lorsqu’il parle de la poutre qu’on voit dans l’œil du voisin. C’est donc dans l’intervalle de l’apparition de ces deux livres que les forêts ont été détruites. En s’avançant vers l’est, nulle part les effets du déboisement n’ont été plus désastreux qu’en Perse. Sous le gouvernement des shahs, toute cette contrée, autrefois si fertile, si bien arrosée, irriguée avec tant de soin, couverte de jardins d’où s’exhalait l’odeur des roses, peuplée d’habitans industrieux et énergiques, est devenue un désert où le voyageur rencontre à chaque pas des canaux à sec, des vestiges de ponts sur des rivières disparues, des maisons en ruines, des murs écroulés, des églises cuisant au soleil, et nulle part un arbre pour s’abriter, une source pour étancher sa soif. Cet état, qui témoigne de l’irrémédiable décadence des pays mahométans, est relativement récent, puisque Tavernier raconte qu’au XVIIe siècle un noble Persan lui a déclaré que, pendant qu’il gouvernait une province, quatre cents sources s’y étaient taries. La race musulmane a également laissé