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sible. Ce trait appartient à la xie idylle ; c’est surtout dans la vie, dont nous avons déjà remarqué l’ingénieuse et dramatique composition, qu’est rendue l’idée élémentaire. La mer est calme et limpide ; quand, le long du rivage caressé par le léger mouvement des flots, le chien du Cyclope court en aboyant, les yeux fixés sur la nymphe qui vient de lui lancer une pomme, l’eau réfléchit son image, et Galatée elle-même provoque son amant du sein des vagues transparentes.

Théocrite s’en est tenu à la peinture des coquetteries de Galatée. Déjà peut-être le mythe, déviant de la pensée première, s’était développé dans un sens romanesque. La passion partagée d’Acis, la jalousie et la vengeance de Polyphême formaient un thème de légende amoureuse tout à fait dans le goût des élégiaques, depuis Antimaque. Et d’ailleurs la légende d’Acis était celle d’un fleuve sicilien. Les sources du récit d’Ovide peuvent donc remonter au moins jusqu’au temps de Théocrite. Mais, que celui-ci connût ou non cette légende, il ne la fit pas entrer dans ses poèmes. De même, il laissa de côté ou fit à peine entrevoir dans le lointain, par un seul trait, la cécité du Cyclope, prédite, selon la tradition homérique, par Têlémos. Son sujet, c’est uniquement la peinture de l’amour de Polyphême pour Galatée, et la teinte dominante dont il la revêt n’a rien de commun avec ces tragiques aventures.

Son Cyclope, en effet, — et c’est sans doute une idée qui lui appartient, — est jeune et paré d’une certaine grâce pastorales. Il n’a pas seulement la confiante naïveté de la jeunesse, il en a l’éclat. On lui a dit qu’il n’était pas sans beauté, et il le croit ; car, un jour que la mer était calme et unie, il y a miré son image ; et sa barbe, ses dents blanches comme le marbre de Paros, même son unique prunelle, lui ont fait tant de plaisir à voir, que pour prévenir la fascination, il a, suivant le conseil de la vieille Cottytaris, craché trois fois dans sa poitrine. Ainsi, non-seulement le caractère monstrueux de la conception primitive, mais la rudesse même de cette figure se sont adoucis, pour entrer dans l’harmonie générale du tableau que le poète a voulu tracer. Les artistes grecs ont fait souvent de même, peut-être à l’imitation de Théocrite. La peinture de la maison de Livie, dont on peut voir une copie à l’École des beaux-arts, nous montre un jeune géant dont les traits n’ont rien de repoussant et ne forment pas un violent contraste avec la grâce des nymphes qui se jouent dans la mer, non plus qu’avec l’aspect du paysage, clair et doux, malgré les formes abruptes des rivages et des rochers. Le peintre, s’adressant directement aux yeux, ne pouvait comme le poète laisser à Polyphême dans toute la réalité son trait caractéristique, celui qui est la définition des cyclopes : il lui donne deux yeux, pareils à ceux des figures humaines, et l’œil unique est seulement indiqué au-