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l’invention de la musique pastorale et subit le charme de ses chants, enfin ses rapports avec Artémis, qu’il accompagne dans ses chasses. Ce dernier trait contient peut-être la première idée de l’Hippolyte d’Euripide, le pur et mystique amant de la déesse, à laquelle il offre, au lieu d’un grossier encens, les fleurs les plus fraîches, « écloses dans la sainte solitude de prairies où l’abeille seule ose pénétrer. » Bien entendu, il n’y a dans le mythe de Daphnis aucune trace de ce mysticisme ni de cette dévotion ; mais, comme Hippolyte, il meurt victime de Vénus.

Ces conceptions élémentaires, y compris la dernière idée à laquelle Théocrite donne toute sa valeur[1], sont ce qui domine dans le chant de Daphnis. Déjà, dans la viiie idylle, un trait d’une grâce toute bucolique indiquait la pudique beauté de Daphnis enfant :

« Hier, une jeune fille aux gracieux sourcils, me voyant de sa grotte passer avec mes génisses, dit et répéta que j’étais beau, et moi, je ne répondis rien, pour la punir, et, les yeux baissés, je continuai mon chemin. »

C’était comme l’apparition de ce type élégant et pur, vu dans la réalité des mœurs pastorales. Dans la ire idylle, une peinture complètement idéale et merveilleuse de la mort de Daphnis ramène le sujet à sa grandeur primitive et se rapproche en même temps du sens mythologique. Il suffit pour le prouver de rappeler les lignes principales de cette poétique complainte.

Daphnis meurt dans une vallée de l’Etna. À ses pieds sont couchés ses vaches, et ses taureaux, et ses génisses, qui pleurent sur sa mort, et à leurs lamentations se mêlent les hurlemens des chacals, des loups, des lions dans leurs fourrés, tant il est en étroite communion avec la nature animale et sauvage ! Les nymphes aussi devraient être près de lui : « Où étiez-vous, ô nymphes, où étiez-vous lorsque Daphnis languissait consumé ? Était-ce dans les belles vallées du Pénée ou dans le Pinde ?… » C’est le début même du chant. Et, en effet, à qui plus qu’aux nymphes appartiendrait-il de soulager son mal ou d’adoucir sa mort ? C’est leur absence qui la rend le plus douloureuse. Du moins viennent près de lui tous les bergers et des divinités pastorales, son père Hermès et Priape. Tous l’interrogent sur la nature de son funeste amour. Lui ne répond rien, noble et décidé à se laisser mourir. Il ne répond pas même à Priape, dont les attaques brutales voudraient l’atteindre jusqu’au fond de ses sentimens.

C’est Priape qui parle de cette jeune fille éprise de Daphnis qui

  1. Fr. Jacobs pense même que cette idée appartient à Théocrite et que c’est chez lui un souvenir de l’Hippolyte d’Euripide.