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duc d’Albe, chargé de l’épouser par procuration. La reine mère avait à ses côtés la reine d’Ecosse et la reine de Navarre (22 juin 1659). C’est pendant les fêtes de ce double mariage que Henri II avait été blessé à mort ; une de ses filles dut partir pour l’Espagne, l’autre pour la Savoie.

Catherine de Médicis accorda des larmes sincères à son époux, au père de ses nombreux enfans ; elle fit peut-être un peu trop étalage de sa douleur ; suivant le goût du temps, elle s’entoura de devises, d’emblèmes, trophées, miroirs cassés, carquois brisés, chaînes rompues ; tous les meubles, les objets qui l’entouraient furent tenus de lui rappeler celui qui l’avait fait monter sur le premier trône du monde. Elle pardonna tout à sa mémoire, sa douleur théâtrale devint un thème pour les poètes du temps ; elle parut tout le reste de sa vie en deuil dans la cour la plus brillante de l’Europe. « Depuis la reine fit dissiper les arbres, jardins, allées et cabinets, et de plus les édifices de plaisir des Tournelles, cette place lui estant en exécration. » (D’Aubigné.) Elle se peint dans ses lettres comme « la plus malheureuse et misérable non royne, ne pryncèse, mais créature que Dieu aye jamais créaye. » Autant elle avait été humble et soumise, comme épouse, autant comme mère elle se montra tyrannique. Elle continue à traiter en enfant Elisabeth, la femme de Philippe II ; elle lui défend de jouer avec ses filles d’honneur. « Cela sied bien mal d’entretenir et faire cas, devant les gens, de vos filles. » Elle recevait des rapports continuels de Mlle Claude de Vavigne, une des demoiselles qui avaient suivi Elisabeth, et de la gouvernante Louise de Bretagne. Brantôme dit que la reine d’Espagne « jamais n’a receu lettres de la royne sa mère, qu’elle ne tremblast et ne fust en allarme qu’elle se courrouçast contre elle et lui dît quelque parole fascheuse. »

Devenue maîtresse du royaume, Catherine se tourna d’abord vers les Guises ; la favorite d’Henri II et le connétable tombèrent dans la disgrâce. Le roi fit dire à Mme de Valentinois « qu’en raison de sa mauvaise influence auprès du roi son père, elle mériteroit un grand châtiment ; mais que dans sa clémence royale, il ne vouloit pas l’inquiéter davantage, que néanmoins elle devroit lui restituer tous les joyaux que lui avait donnés le roi son père. » Le connétable fut reçu de la reine, et demanda à se retirer à Chantilly. Catherine l’accueillit avec de bonnes paroles, lui promit de ne point retirer sa protection à sa famille, mais ne le découragea point dans son dessein, se disant elle-même portée à vivre dans une grande retraite.